Ferdaous, une voix en enfer de Nawāl al- Saʿdāwī
Catégorie(s) : Littérature => Arabe
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« C’est la vérité qui est dangereuse et sauvage »
« Combien d’années de ma vie se sont écoulées avant que je ne dispose de moi-même et de mon corps ? » s’interroge Ferdaous, jeune femme condamnée à mort pour le meurtre d’un homme et qui doit être exécutée dans les heures à venir, en confessant sa vie à une psychologue qui conduit une étude sur les femmes en milieu carcéral.
Ferdaous se souvient de son enfance dans une campagne égyptienne entre un père tyrannique et une mère totalement asservie qui n’avait pas d’amour à lui donner et pas de temps à lui consacrer sauf celui de lui faire subir la mutilation intime que subissent maintes femmes à l’âge de la puberté. « Ma mère ne pouvait pas me réchauffer en hiver. Elle devait réchauffer mon père. »
Après le décès du père, c’est le départ pour la ville avec l’oncle et les mains de celui-ci remplacent celles du petit voisin qui lui ont fait connaître cet étrange frisson venu d’ailleurs. C’est aussi la découverte de l’instruction et les premiers frissons pour une femme, le souvenir des « cercles noirs brillants dans les grands cercles blancs », cette vision qui marque les étapes importantes de sa vie. Mais, quand vient l’heure de quitter l’école, il faut bien trouver une solution pour se débarrasser de cette nièce encombrante et le mariage avec un vieux repoussant est une solution bien aisée.
Le vieux mari tyran brutal, c’est alors le début des fuites dans les rues qui semblent si accueillantes, mais ne sont peuplées que d’hommes qui deviennent vite des souteneurs violents et la meilleure façon de leur échapper est d’accepter la protection d’une maquerelle. Mais la véritable indépendance ne s’acquiert qu’avec la liberté et Ferdaous a vite compris «qu’il vaut mieux être prostituée de luxe que prostituée à bon marché. » Toutefois, si ce statut confère argent, confort et liberté, il rejette la respectabilité que l’expérience du travail honorable dans un bureau ne lui donnera pas non plus après la trahison de l’amant syndicaliste.
La boucle est ainsi bouclée et Ferdaous revient à ce qui lui apporte le luxe et la liberté en monnayant ses charmes au prix le plus élevé et en poussant son désir de respectabilité jusqu’au geste ultime.
A travers ce roman court mais dense, El Saadawi, poursuit son combat pour la place de la femme arabe dans la société en dénonçant toutes les brutalités, mutilations, humiliations et autres maltraitances mais aussi cet abaissement permanent qui se traduit également par le refus de l’instruction. Cette voix qui vient de l’enfer est celle de Ferdaous qui signifie paradoxalement paradis en arabe, qui veut indiquer le chemin que les femmes arabes doivent emprunter pour sortir de leur esclavagisme surtout sexuel d’après ce roman.
Mais même si Assia Djebar, l’académicienne qui a préfacé ce livre, ne le souligne pas, j’ai peut-être, dans un second niveau de lecture, vu cet ouvrage comme une fable, comme la fable de la femme arabe agneau dévorée par l’homme loup, comme la parabole du faible qui sera toujours mangé par le fort parce qu’il n’aura toujours que sa fierté à opposer à la force conquérante. Une fable dont Ferdaous aurait tiré une morale qui indique cependant une voie à suivre pour sortir de situation de domination. Nous sommes les propres responsables de cette situation, « rien ne nous aliène dans nos vies, sinon nos désirs de passions, nos espoirs, nos peurs. » et si nous étions assez sages pour mettre nos ambitions, nos désirs et nos angoisses à la mesure de nos moyens et de nos êtres nous serions certainement moins dépendants des autres et moins tributaires des forts qui en profitent pour nous terroriser et nous exploiter. Ferdaous a dit la vérité et « c’est la vérité qui est dangereuse et sauvage », nous laisserons donc Guy Béart chanter notre conclusion « le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté…. »
Les éditions
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Ferdaous, une voix en enfer [Texte imprimé] Nawal el Saadawi traduit de l'arabe par Assia Djebar et Assia Trabelsi préface de Assia Djebar,...
de Saʿdāwī, Nawāl al- Djebar, Assia (Préfacier) Trabelsi, Assia (Traducteur)
des Femmes-Antoinette Fouque
ISBN : 9782721005489 ; 10,25 € ; 25/01/2007 ; 161 p. ; Broché
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