Rue des Martyrs de Patrick Eudeline

Rue des Martyrs de Patrick Eudeline

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Numanuma, le 12 juillet 2009 (Tours, Inscrit le 21 mars 2005, 51 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 754ème position).
Visites : 4 362 

Paris, Trouville, Nulle Part...

Patrick Eudeline est un styliste des mots bien sur mais pas seulement. Artiste culte made in chez nous, Eudeline est un survivant de la dope, du punk, des 60’s, des son père, de la médiocrité des années 80… Eudeline est un artiste à part, journaliste chez Rock & Folk, écrivain, bidouilleur de multiples instruments vintage, forcément vintage.
Ce nouveau et excellent roman est comme un condensé de ses obsessions : les grattes vintage donc, le dandysme vestimentaire, la jeunesse, la drogue, le rock, l’amour impossible et fracassé. D’une certaine manière, Rue des Martyrs est le condensé de ses autres romans. La drogue, c’est Ce siècle aura ta peau, la recherche de la gloire, c’est Dansons sous les bombes, la modernité, c’est Soucoupes violentes, le rock, Paris et la classe partout.
Jérôme « serait les Who ! Il serait les Move ! A lui tout seul ». Programme carrément révolutionnaire dans la France sclérosée du début des années 60 ; pas évident d’avoir 17 en 1966 et voir que tout explose partout sauf ici dans ce vieux et indestructible Paris… Heureusement, il y a le Drugstore, légende disparue avec l’Open Market, deux institutions du Paris jeune et virevoltant plein d’une faune malheureuse d’être loin de l’Angleterre des Beatles et des Kinks, des Who et des Rolling Stones, une jeunesse à la frontière entre l’optimisme et l’abattement, coincée entre les horribles yé-yé et les rares authentiques forgerons d’un rock à la française.
Jérôme veut être de ceux-là, de ceux qui savent s’habiller avec le chic anglais, plus pop que rock, le goût pour la mélodie en bandoulière, un œil sur Carnaby Street un autre les lointaines Amériques.
Seulement voila, quand on est fils de concierge, comment on fait pour refuser un contrat chez Vogue, fut-ce au prix d’une cover malodorante d’une chanson déjà merdique rendue encore plus honteuse après le passage en langue de Molière ? Que fait-on devant la promesse de voir son disque en vente et de faire le prochain comme on l’entend ? On ne refuse pas, on lutte, on tente et on boit la coupe jusqu’à la fin : concerts merdiques sur des plages désertes face aux loulous du coin, cuirs et crans d’arrêt de sortie, boots cheap et une connaissance musicale bloquée à Elvis Presley…
Obsessionnel compulsif, Eudeline est allée rechercher les expressions des époques que son héros traverse, toujours en décalage, toujours inadapté, comme tous les héros des romans d’Eudeline ; depuis combien de temps n’ai-je plus quelque part l’expression « c’est bath » ?! Il se paye même le luxe de critiquer mai 68 et ça, c’est totalement inattendu : mai 68 a fait rater à Jérôme l’occasion de sortir un truc énorme qui, blocages d’usines en tout genre obligent, ne verra le jour qu’après le Rain and Tears des Aphrodite’s Child et ne serra donc considéré que comme une copie.
Voila résumé en un exemple la malédiction qui pèse sur Jérôme, la bénédiction ?, il n’est pas en phase, pas prêt à tout accepter, pas prêt pour la soupe, fut-elle new wave ou techno. Et pourquoi pas des remix allemands pendant qu’on y est ?
Mais il y a autre chose dans ce roman classieux. Eudeline suit à la trace son héros pendant 40 ans, ne le lâche pas, constate que sa silhouette longiligne ne bouge pas malgré la drogue et le mauvais champagne, malgré le manque de fric et l’absence totale de reconnaissance. Jusqu’au moment ou Jérôme disparaît. Purement et simplement.
J’ai entendu quelque part que ce roman est inspiré d’un fait réel : un chanteur oublié qui a disparu un jour sans laisser de trace et qui n’est toujours pas réapparu ; un chanteur qui je crois a un lien de parenté avec un autre chanteur culte, Christophe, celui des Mots Bleus et Aline, oui, oui.
Chanteur culte, alors, soit quelque part, toujours, entre le sublime et le ridicule, entre l’embarrassant et le génial.
Alors oui, Jérôme mérite bien son statut de martyr du rock : pas de compromis, pas de concession, un succès d’estime, au mieux, une légende underground et deux amis indéfectibles : Chouraqui et Gudule.
Chez Eudeline, le rock s’accompagne toujours d’aventures humaines, d’amitiés improbables, de relations charnelles et sentimentales d’exception. Ici Gudule, l’Amante et Chouraqui, l’Opposé forment un trio magique, entre pop, sexe et fric. Chouraqui est né du bon côté de la barrière, pas de soucis de sous chez lui, Jérôme est pauvre, Gudule est prête à tout : les trois forment chacun une image de l’artiste : celui qui n’est qu’énergie, le génie et talent, celui qui se sait capable d’exister mais pas par lui-même, grâce aux regards et à l’entremise des autres et celui qui voudrait bien mais ne le sera jamais, trop vite rattrapé par la vie.
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c'est qui ? C'est Jerôme !

9 étoiles

Critique de Patman (Paris, Inscrit le 5 septembre 2001, 62 ans) - 17 août 2012

Jerôme, petit prolo qui se la joue bourge au Drugstore des Champs (un petit minet comme dans la chanson de Dutronc !) obtient un petit succès avec son premier 45 t... Nous sommes au début des années 60, Jerôme et ses potes se veulent "rockeurs", ils seront juste "yéyés"... Jerôme rêve de guitares saturées, d'être une idole façon Jagger, il devra se contenter du hit-parade à la française. Qu'importe, il tient sa revanche, il est "connu" à défaut d'être célèbre. Puis les années passent, Jerôme vivote sur son antique succès, les potes s'éloignent puis reviennent (parfois) ... L'alcool, les filles, la drogue, et surtout beaucoup de mélancolie derrière tout ça. Un très joli roman signé Patrick Eudeline, comme Numanuma je serais assez tenté de dire "son meilleur".


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