Le temps des cendres
de Jorge Volpi Escalante

critiqué par Bolcho, le 27 juillet 2009
(Bruxelles - 76 ans)


La note:  étoiles
Des histoires dans l'Histoire
Quatre personnages qui sont autant de points d'observation de l'histoire des vingt-cinq dernières années, avec une insistance sur la fin de l'Union soviétique.
On a une Russe, biologiste, mariée à un dissident, lequel prend fait et cause pour le capitalisme. Une Américaine, fonctionnaire au FMI et chantre de la mondialisation. Une Hongroise américanisée, informaticienne plongée dans les recherches sur le génome humain.
Au total, peu de voix progressistes mais une dénonciation violente des deux systèmes qui ont ravagé le monde : la bureaucratie stalinienne d'un côté, le capitalisme de l'autre.
J'ai noté, dans la bouche d'un ministre russe partisan des privatisations, cette affirmation cynique et imparable : «  L'accumulation initiale de capitaux dans une économie de marché est de nature presque criminelle. Il y a toujours quelques individus prêts à prendre des risques et à profiter des avantages : ce sont les entrepreneurs que nous cherchons ».
Et aussi – parce que ce bouquin visite tous les lieux où l'Histoire s'est faite – une réjouissante diatribe contre les « lieux saints », présentés comme l'endroit du monde où le plus de haine s'est accumulée : « Il était insensé que les gens fussent prêts à donner leur vie pour défendre ces vestiges d'époques obscurantistes ».
Au total, on a quatre récits mêlés. C'est bien informé, intelligent, cruel dans le constat. Cela se lit donc avec plaisir mais souffre légèrement du fait que les personnages « secondaires » sont un peu pâles et jouent les utilités à côté du personnage principal : l'Histoire récente.
Sans compter que la construction du roman est un peu mécanique (ou « rigoureuse », c'est comme on voudra) : un chapitre chez Irina, un chapitre chez Jennifer, un chapitre chez Eva, et on recommence la série jusqu'au bout.
Probablement une mine de plaisirs pour ceux qui ont vécu le dernier quart de siècle penchés sur leur quotidien préféré.
Une ambition démesurée 4 étoiles

J'ai l'impression que Jorge Volpi, en rédigeant ce roman, s'est un peu installé dans la peau d'un Tolstoï du 21ième siècle. Le résultat est hélas très loin d'être à la mesure de cette ambition.
Le contexte historique prend ici le pas sur l'intrigue romanesque sans que cela nous apporte grand chose: Volpi accumule les descriptions des grands moments historiques de la seconde moitié du 20ième siècle (à titre d'exemples: la mort de Staline, la révolution hongroise de 1956, la chute du mur de Berlin etc.) avec pour seul résultat de diluer l'intérêt du lecteur qui perd ainsi de vue les protagonistes de ce qui, après tout, est censé être un roman.
La toile de fond est en effet si envahissante qu'elle semble enrober et étouffer les personnages qui, par comparaison, apparaissent traités de façon extrêmement sommaire. Il y avait pourtant matière à faire un roman extrêmement riche (ainsi que le montrent un peu les dernières pages du livre qui, elles, me semblent assez réussies) car ce dont il est ici (trop peu) question, c'est l'ambition personnelle, la cupidité, la responsabilité individuelle, le désir sexuel etc.
Que dire par ailleurs des tics de style qui parsèment l'oeuvre: qu'apporte en effet le recours à ce procédé homérique consistant à qualifier les personnages ou les villes au moyen d'expressions stéréotypées? Gorbatchev "pasteur d'hommes", Elstine "aux bras forts", Washington "axe du cosmos", Berlin "île entourée de cannibales", cela passe une fois, deux fois...mais à la dixième l'indigestion menace.
Bref, si vous voulez découvrir Volpi, lisez plutôt "à la recherche de Klingsor" qui est réellement un livre passionnant.

Guermantes - Bruxelles - 77 ans - 19 avril 2010