Sécheresse (Vidas secas)
de Graciliano Ramos

critiqué par Habertus, le 6 août 2009
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Vidas Secas (1938)
Ana Paula Kiffer livrait, en janvier 2009 au cours d’un séminaire tenu au siège parisien du Collège International de Philosophie, sa vision de philosophe sur l’écriture de la faim. Elle rappelait que le norvégien Hamsun , avait devancé de dix ans, Graciliano Ramos sur ce sujet. Elle considère ce dernier comme le romancier brésilien historique de la faim. Le sujet de la faim est présent, en effet à chacune des pages de l’écrivain brésilien de ce livre. Il fallait oser romancer la faim, le sujet n’étant pas du tout en cour au Brésil dans les années trente. Il gênait le politique, qui voulait présenter au monde le front sans rides du Brésil.
L’action se situe dans ce Sertao ou Nordeste, si torturant pour la pensée d’écrivains- théoriciens cinéastes, tels Glauber Rocha, mais aussi Pereira qui tourna le Vidas Secas, inspiré de Sécheresse, mais c’était plus de vingt ans après que le romancier de la faim ait écrit le livre en question. Des politologues-économistes brésiliens, tels Josué de Castro ou Celso Furtado , qui a animé une chaire sur le développement à Paris, avaient la faim en toile de fond de leurs actions..
Passons au livre de Ramos.

Le roman, paru en 1938, a pour cadre les terres désertées très ingrates du célèbre Sertao, besognées par des paysans parmi les plus déshérités, qui souffrent de cette sécheresse récurrente, fatales pour eux. Le titre « Sécheresse », traduit de « Vidas Secas », aurait pu être, selon moi, le personnage principal dans ce livre de Ramos ;
Trois personnages principaux occupent le narrateur: Fabiano, vacher de son état, sa femme, Mâme Vitoria, et surtout Baleine, la chienne, troisième enfant adoré de cette famille, les deux garçonnets n’animant que fort peu le récit.
Le nom de « Baleine » de la chienne, peut prêter le flanc à une certaine ironie dans une région du Brésil où, justement, il faudrait qu’il y eût de l’eau pour qu’un cétacé puisse y prospérer !
Fabiano est un dur à cuire, courageux à la tâche, limité intellectuellement, sa femme l’éblouissant par sa faculté de raisonnement. Elle lui indique ainsi que les oiseaux migrateurs débarquant dans le sertao vont tuer le bétail. Le vacher a du mal à saisir le raccourci qui lui est inaccessible d’emblée, soit :celui de l’assèchement de la rivière par cette nuée fatale.
Fabiano est exploité par le propriétaire de la ferme où sa famille a atterri après une longue errance. Il est exploité par les commerçants de la bourgade proche, exploité par les pourvoyeurs d’impôts, exploité par la police, qui démontre lâchement son autorité au bouc-émissaire paysan niais qu’est Fabiano.
Cette famille trime, mais a trouvé une sorte d’oasis qui répond à son rêve de stabilité et de satiété, les besoins à satisfaire étant des besoins de base : s’abriter, se nourrir et vivre en harmonie avec le milieu naturel. L’auteur montre combien le chef de famille est intégré de la nature, fut-elle aussi ingrate ! Fabiano connaît chaque pouce et repli de terrain du sertao, parcouru à dos de jument. Il chasse les serpents, sans doute très venimeux, aussi naturellement que l’on cueille des champignons de pré, les disposant sur un rocher à l’entrée de la ferme comme une sorte de tableau de chasse banal.
Nous faisons connaissance avec les espèces végétales du sertao, dont les appellations sont reprises en langue vernaculaire dans le texte du romancier. La traductrice a eu raison de les conserver telles quelles dans le texte, plutôt que de leur donner le nom latin, cela ajoute au réalisme et… d’une certaine façon au pittoresque ;
L’écriture de Ramos est simple, non affectée. Elle reflète de cette façon le mode de pensée de cette famille .
L’inexorable surviendra pour cette famille de paysans pauvres, qui dans le dernier chapitre, intitulé « Fuite » devra se chercher un autre coin de semi-paradis, ou de semi-enfer où s’établir à nouveau, pour survivre.