Un jardin au bout du monde
de Gabrielle Roy

critiqué par Leroymarko, le 27 août 2009
(Toronto - 51 ans)


La note:  étoiles
La parole aux oubliés
C’est la première fois que je lisais un ouvrage de Gabrielle Roy et j’ai grandement apprécié. Elle a une belle écriture, sans froufrou ni dentelle, qui va directement au but. De plus, Roy donne la parole aux oubliés de l’histoire. Ce sont pourtant eux qui en ont marqué probablement le plus le cours.

Ce livre comporte quatre récits. Ils comptent tous un peu plus d’une cinquantaine de pages chacun, sauf celui sur les Doukhobors qui n’en comprend qu’une vingtaine. À travers ces histoires, l’écrivaine nous raconte la vie des pionniers sur la Plaine. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe, l’ouest canadien est colonisé par des peuples qui viennent d’un peu partout. Leur dur labeur fait en sorte, en grande partie, que les Prairies d’aujourd’hui sont ce qu’elles sont.

Le premier récit – Un vagabond frappe à notre porte – raconte la vie sans surprise que mène la famille Trudeau, quelque part dans un endroit reculé de la Plaine. Un jour, un inconnu frappe à la porte. Il dit être un cousin du père Arthur qui a émigré du Québec il y a 50 ans. L’inconnu leur donne des nouvelles de la famille au Québec, mais il pourrait leur dire n’importe quoi. Comment vérifier ses dires? Pourtant, les jours passent, et les Trudeau, méfiants, en viennent quand même à apprécier ses histoires.

Le soi-disant cousin restera trois semaines, avant de disparaître une bonne nuit. Des années plus tard, il reviendra et le pot aux roses sera découvert. Il s’agit en fait d’un charlatan qui utilise ce genre de stratagèmes ici et là. Pourtant, on ne lui en veut pas trop, car même si ce qu’il dit est faux, il représente pendant quelques temps le lien entre leur vie et celle des ancêtres et de la famille depuis longtemps plus au moins oubliée du Québec. Il s’agit d’un regard intéressant sur la société traditionnelle de l’époque. Une société qui laisse une place de choix aux conteurs, aux superstitions et qui n’hésite pas à se réfugier sous la soutane du frère André.

Le deuxième récit – Où iras-tu Sam Wong? – est celui que j’ai préféré. L’auteure y raconte l’histoire de ce Chinois, qui comme des milliers d’autres, s’est embarqué dans une galère qui l’a amené dans un village perdu du Canada de l’époque. La loi leur interdisait alors de venir au Canada accompagné de leur femme et de leurs enfants. Et pas question de se regrouper dans le quartier d’une grande ville, comme c’est le cas de nos jours.

C’est ainsi que Sam Wong échoue dans un bled de Saskatchewan, Horizon. Comme bien des compatriotes, Sam Wong va ouvrir un restaurant. Les vingt-cinq prochaines années, il les passera à besogner dans son commerce miteux. Tellement qu’au bout d’un quart de siècle, on sera étonné de le voir marcher dans le village. Une histoire poignante.

Troisième récit : La vallée Houdou. Un agent des terres est exaspéré parce qu’il doit trouver un terrain qui intéressera un groupe de Doukhobors, qui vient d’arriver au Manitoba. Site après site, les Doukhobors déclinent l’offre. Jusqu’au jour où ils vont découvrir la vallée Houdou. Ils sont conquis. Pourtant, il s’agit de terres difficiles à cultiver. Même les oiseaux ne sont là que pour vivre loin du monde. Ça leur rappelle pourtant leur pays et c’est là qu’ils vont finir par s’établir pour travailler à la sueur de leur front, afin de laisser aux prochaines générations de meilleures terres.

Enfin, dans le quatrième récit – Un jardin au bout du monde – Gabrielle Roy nous raconte l’histoire de la vieille Maria Martha Yaramko. Elle et son mari font partis des derniers habitants de Volhyn, hameau fondé par des immigrants de Volhynie, vers 1920. Les Yaramko étaient aussi, d’ailleurs, parmi les premiers à s’établir là : dans «ces lieux qui inclinaient l’homme à se reconnaître le passant d’un jour en ce monde». Toute sa vie dans cette région isolée, que même ses enfants ont quitté pour la grande ville, Maria Martha la passe à soigner les fleurs de son petit jardin. Il s’agit d’un travail constant, parce que les sécheresses et les rudes hivers viennent tout détruire.

Pendant ce temps, un gouffre se creuse entre Maria et son mari, Stépan. Elle trouve refuge dans son jardin, lui dans l’alcool. Mari et femme ne se parlent plus. C’est à peine s’ils se voient encore, même s’ils sont pratiquement seuls au monde. Et lorsque Maria est près de la mort, Stépan ne saura même pas comment reprendre le dialogue avec sa femme. Comment ne pas verser une larme en lisant les dernières pages de ce bouquin.

Bref, j’ai beaucoup aimé cet ouvrage. Je crois d’ailleurs qu’il pourrait facilement remplacer de nombreux livres d’histoire, pour mieux comprendre tout un pan de notre passé.
Une consolation dans la solitude 9 étoiles

Maria Martha Yaramko, arrive à Volhyn, Alberta, dans les limites des terres défrichées. C’est une immigrante venue de la Volhymie, Ukraine, avec son mari Stépan. Le livre intitulé Un jardin au bout du monde, qui est aussi le titre de la nouvelle que je préfère, dont je parlerai, en contient quatre. Cette intéressante nouvelle comprend dix chapitres. Dans le premier, l’auteure nous introduit à l’histoire. Le reste du récit, elle narre l’histoire de la vie intériorisée de Martha. Les deux thèmes principaux : la communication et la solitude conjugale.

L’histoire se déroule dans les années cinquante, centrée sur Martha qui travaille dans son jardin, du printemps à l’automne. Elle parle peu, toujours plongée dans ses pensées qu'elle cultive autant que ses fleurs. Des douleurs, qui s’éveillent en son corps, de plus en plus souvent, lui rappellent l’idée d’aller se faire soigner à Edmonton, mais elle la rejette aussitôt.

Le discours intérieur de Martha est sur l’interrogation suivante : quelle sorte de vie as-tu eu Martha? Et, pour quoi ai-je vécu? La seule communication pour Martha se fait avec le vent de la plaine. « Qu’est-ce donc que nous cherchons, disait-elle », comme si elle et le vent démêlaient la même histoire. Puis, le cœur de Martha s’attendrit. Dans ce jeu du vent, elle y trouve une consolation dans sa solitude.

Depuis la querelle au sujet des enfants, qu’elle n’a pas revus, le mutisme règne dans le couple. C’est que Stépan voit sa propre vie comme un échec. l’inadaptation a nourri en lui, la violence, la rage et l’amertume. Un jour, à peu près ivre, il pensa : s’il la faisait soigner, sa pauvre vieille? S’il l’emmenait à Edmonton? Toutes ses économies y passeraient et elle ne se remettrait jamais assez pour l’aider aux grands travaux. Des larmes lui vinrent. Lorsque Stépan sent les derniers moments de sa femme arrivés, se réconcilie avec elle, en donnant des soins à ses fleurs, lui, qui pourtant, trouvait l’entretien futile. Ils se sont rapprochés, tout en gardant leur propre univers intérieur.

Dans cette nouvelle, Martha voue l’essentiel de son temps à l’entretien de ses fleurs, mais en réalité, c’est la vie de son âme qu’elle entretient. Ce n’est pas une histoire événementielle, mais elle m’a permis de saisir le profil psychologique des deux personnages. J’ai beaucoup aimé cette nouvelle de Gabrielle Roy. D’une écriture linéaire, cette grande romancière nous fait réfléchir aux difficultés des immigrants. Le titre est approprié. "Un jardin au bout du monde" symbolise un lieu d'exil, avec des contraintes sociales : identité, insertion, où la communication avec quiconque devient difficile. Merci au vent, Martha l’a tant écouté. Grâce aux fleurs et aux herbes, qui reviennent chaque printemps, font que Martha quitte ce monde paisiblement. C’est peut-être ça l’éternité?

Saumar - Montréal - 91 ans - 2 août 2010