Staline de Jean-Jacques Marie

Staline de Jean-Jacques Marie

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Manu_C, le 1 septembre 2009 (Inscrit le 19 août 2004, 55 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 295ème position).
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Machiavel au XXème siècle

Quelques mots préliminaires sur l’auteur, Jean-Jacques Marie : il est historien, spécialiste de l’URSS, politiquement engagé très à gauche, il a successivement membre de l’Organisation communiste internationaliste, puis du Parti communiste internationaliste et depuis 1992, du Parti des travailleurs.

Le livre : biographie très complète de Staline qui bénéficie de l’ouverture des archives russes après la chute du mur ; c’est une multitude de détails sur la vie, l’action et l’exercice du pouvoir par Staline. Construit de façon strictement chronologique, c’est aussi un réquisitoire contre l’un des plus grands dictateurs du XXème siècle, quelquefois rébarbatif par l’accumulation peut-être un peu désordonnée de détails au milieu de sujets ou dimensions qui auraient mérité des traitements structurés et homogènes.

Compte tenu de l’engagement politique de l’auteur, on peut y voir le réquisitoire du plus grand dévoiement du socialisme (quoi que Mao soit un concurrent sérieux…).

Pour parler du contenu, la meilleure conclusion est de Khrouchtchev : à sa mort « le pays était ruiné […] les prisons étaient surpeuplées […]. On ne voyait pas d’éclaircies dans la situation internationale, la guerre froide battait son plein. Le poids du primat de l’industrie de guerre sur le peuple soviétique était incroyable ». Et l’auteur de poursuivre : « Impasse économique, résistance sociale massive, quoique passive, insécurité pour tous, complots permanents, purges sanglantes, tel est le bilan du régime policier terroriste ».

Ainsi se conclut le règne, car il n’y pas d’autres mots, de Staline, règne commencé par un activisme révolutionnaire peu convaincant après une période également peu probante au séminaire, mais compte tenu de l’évolution du personnage, est-ce vraiment une surprise ? Certains y sont arrivés grâce au charisme, lui ne s’est imposé que par machiavélisme.

Le pouvoir : bien que vite, mais trop tard, repéré comme dangereux par Lénine, une fois à la tête du pouvoir, Staline n’aura de cesse de concentrer sur lui ce pouvoir et surtout d’éliminer l’ensemble de la vieille garde (celle qui aura contribué à la révolution de 1917) et qui donc pouvait témoigner des potentielles faiblesses du personnage. Elle était également dangereuse dans sa construction du culte de la personnalité, parce qu’elle pouvait démentir l’histoire que Staline réécrivait, discrètement à l’époque, beaucoup plus grossièrement une fois les purges effectuées. Staline évoquera l’image lui-même en 1937 : il définit le Parti comme une organisation militaire constituée en cercles concentriques… « qui dit organisation militaire dit absence de démocratie, dictature des chefs, inégalitarisme, règne du secret et de la discipline ». A ceux qui croient maintenir une zone réservée de pouvoir local et de leurs pensées intimes, Staline va s’attacher à briser cette prétention insupportable à sa dictature. Prétentions qui seront noyées dans les purges dénuées de tout aspect idéologique, bien au contraire. De même le Komintern, organisme chargé de la « promotion » du socialisme à l’étranger, sera vidé de sa substance car ne permettant aucun contrôle à distance. Une fois l’appareil en place, ses rouages rodés, plus rien n’était possible sans lui : « Staline décidait ; il ne restait aux autres qu’à appliquer ses décisions. Aussi les gens perdaient-ils l’habitude de l’initiative et apprenaient-ils à attendre les indications venues d’en haut pour les exécuter sans réfléchir »


La sécurité ou la terreur : quelle meilleure façon de consolider son pouvoir que par une pression permanente sur l’ensemble des populations. Au-delà de la grande purge de 1937-38 et de celle qui débuta avant sa mort et qui ne put se conclure comme il l’aurait voulu, Staline a fait vivre l’URSS dans un climat de complot permanent en exerçant une pression psychologique incroyable sur l’ensemble de ses « collaborateurs » ; aucun n’étant à l’abri d’une disgrâce pour quelque raison que ce soit. Le résultat de la disgrâce étant au mieux la prison, le goulag, au pire la mort (le goulag l’entraînant souvent). Cet état de complot permanent était bien sûr reproduit sur toutes les couches de l’appareil et de la population ce qui fait que tout manquement ou échec dans les objectifs, bien sûr totalement irréalistes, industriels, agricoles et par extension économiques était donc le fait de saboteurs.

Autocrate et ignare en économie, Staline a conduit son pays et son peuple (et ses peuples) de famines en famines tout en accentuant une pression « fiscale » insupportable par une politique de gestion des prix aberrante. Son attentisme et son doute permanent au sujet de l’innovation feront le reste pour la situation industrielle.

L’armée : première victime des purges après la vieille garde du Parti, Staline a vidé l’armée rouge de ses cadres opérationnels pour les remplacer par une jeune génération, certes aux dents longues, mais totalement inexpérimentée. A cela est venu s’ajouter une gestion de l’économie inadaptée, le tout a conduit, hormis les aspects politiques, au désastre temporaire de l’opération Barbarossa. Temporaire, mais qui coûta des centaines de millier de victimes à l’armée rouge jusqu’au retournement de Stalingrad. Jean-Jacques Marie, rarement tendre avec son sujet, l’est encore moins lorsqu’il aborde cet aspect en soulignant les parallèles entre les deux dictateurs: « Hitler et Staline refusent d’admettre tout recul, même tactique : ils exigent, l’un et l’autre, que leurs troupes s’accrochent coûte que coûte au terrain qu’elles occupent ; ils s’ingèrent dans la conduite des opérations et en modifient souvent le cours par des décisions brutales qu’ils ne justifient pas »… « Ils jugent tout les deux superflu d’informer les chefs militaires de leurs objectifs politiques et compensent leur incompétence par une fièvre qui les pousse à engager sans délai les opérations décidées ». De fait, stratèges de bureaux, ils répercutent tout échec sur les boucs émissaires de leur incompétence ; « les deux hommes se trouvent, sous le masque d’un socialisme national, au sommet d’un appareil parasitaire, vorace, autoritaire, arrogant, de type mafieux, dont tous les traits s’incarnent dans leur maître suprême. Hitler et l’appareil nazi sont certes plus tapageurs et braillards, Staline et son propre appareil, plus hypocrites et masqués ».

En 50 ans, Staline aura façonné, ou détruit c’est une question de perspective, l’URSS, sur toutes les dimensions avec un coût humain incroyable ; il faudra moins de 6 mois à ses successeurs pour détruire cet héritage douteux sans complètement reconnaître les tragiques erreurs commises… il faut avouer que ces successeurs étaient sa « garde rapprochée »

Très difficile à lire, mais une lecture passionnante.

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Une biographie et une analyse rigoureuse

10 étoiles

Critique de CHALOT (Vaux le Pénil, Inscrit le 5 novembre 2009, 76 ans) - 6 février 2013

LIVRE EDITION AUTREMENT DECEMBRE 2012

On ne présente plus Jean Jacques Marie, ancien professeur de lettres, historien marxiste passionné. Il vient de publier une nouvelle biographie, douze ans après la sortie de son premier « Staline ».
L'analyse est la même, il s'agit toujours et encore de l'histoire et de l'action du grand fossoyeur de la Révolution d'octobre.
Jean Jacques Marie a lu, décortiqué et analysé de nombreux documents qui, s'ils ne modifient pas le fond, apportent un éclairage plus précis de la réalité de la « nomenklatura »...
Il a étudié les différentes représentations de Staline dans le mouvement communiste et aussi en Russie même aujourd'hui .
Si l'auteur respecte la chronologie, donc part de la naissance de Staline à sa mort en passant par son ascension, la liquidation physique de toute la direction bolchevik et la dictature personnelle féroce exercée, il analyse chapitre par chapitre un aspect de la politique ou de la personnalité de Staline....
Il revient sur des zones d'ombre qu'il éclaire comme dans le chapitre consacré à l'ère du secrétariat quand Staline ayant chassé Trotsky et s'apprêtant à faire disparaître l'héritage du léninisme développe son orientation en faveur du « socialisme » dans un seul pays.
Les conséquences sont dramatiques pour le mouvement communiste international, en Allemagne ou même en Chine où Tchang Kaï-chek, membre d'honneur de l'International Communiste peut en toute impunité écraser dans le sang la grève générale et chasser les communistes de leurs postes dans le Kuomintang.
Staline a été un piètre révolutionnaire, un piètre orateur, un dirigeant timoré du temps de Lénine avant de devenir ce dictateur implacable, capable de faire fusiller et déporter les révolutionnaires et militants communistes et de liquider physiquement tous ceux qui lui faisaient de l'ombre, qu'ils soient des militants ou qu'ils soient des officiers ou des intellectuels gênants.
Aujourd'hui, en Russie même, les dirigeants du pays présentent Staline comme un chef militaire génial qui a galvanisé la résistance à l'offensive allemande le 22 juin 1941 .
C'est une légende qui a la peau dure.
Ne faut-il pas rappeler que le « petit père des peuples » a fait exécuter sans l'écouter le communiste allemand qui l'avertit 2 heures et demie avant l'attaque des nazis ?
Ne faut-il pas non plus rappeler que le « génial » dirigeant s'est terré pendant 24 heures, le 29 juin au soir, « au lendemain de la prise de Mink qui le démoralise » ?
D'autres pages de l'histoire moins connues sont dévoilées, comme ce soutien apporté par l'URSS au plan permettant comme le dit Andréï Gromyko à répondre à l' « aspiration des juifs à la création d'un Etat à eux »....
Les partis communistes arabes et Libanais sont sommés de soutenir cette politique. « Les dirigeants du Parti communiste irakien paient la note et seront pendus comme « agents sionistes ».
Jean Jacques Marie ne laisse aucun détail important de côté.
Il montre, preuves à l'appui que c'est Joseph Staline qui « a créé les conditions de la dislocation de l'Union soviétique ».
Jean-François Chalot

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