Capitalisme et pulsion de mort
de Gilles Dostaler, Bernard Maris

critiqué par NQuint, le 8 septembre 2009
(Charbonnieres les Bains - 52 ans)


La note:  étoiles
Keynes et Freud convoqués pour une réflexion salutaire sur la crise
La crise, la crise, la crise. Tout le monde parle de la crise, elle est partout, par la fenêtre, par la porte, la cheminée. Le capitalisme est malade, la crécelle retentit dans les rues.
Et les médias de passer en boucle les questions : la reprise c'est 2009 ou 2010 ? le plan de relance va-t-il suffire ou en faut-il un autre ? Bref, tout le monde se raccroche à l'espoir que la crise sera passagère et que l'on pourra bientôt reprendre le "business as usual". Cette fois-ci quand même, la secousse est forte et l'on entend quelques petites voix évoquer une crise morale, un manque de sens.
Et si on commençait à chercher plus loin, à creuser un peu plus ? A dézoomer pour sortir un peu du court-termisme et de l'amnésie historique ? Si nous stoppions le 'comment' (en sortir) pour aller vers le 'pourquoi' (est-ce arrivé). Si nous arrêtions le 'qui' (est fautif) pour tenter le 'quel' (avenir pour nous) ?
Les vraies questions sont de savoir si le capitalisme tel qu'il est actuellement est un horizon indépassable pour l'homme ? Est-ce que tout cela est d'ailleurs consubstantiel au capitalisme ou à l'homme ? Sommes-nous sur le chemin de notre perte ? Est-ce inéluctable ?
Telles sont les réflexions auxquelles nous convie cet ouvrage en mettant en relation le travail de deux contemporains de la crise de 29 et deux génies du XXème siècle : Keynes et Freud. Ce travail n'est pas une pure vue de l'esprit puisque chacun des deux a nourri la réflexion de l'autre. Si Keynes revient au goût du jour, on l'évoque principalement pour ses thèses sur la relance économique (le fameux multiple d'investissement). Mais c'est le thème de l'argent qui est abordé dans cet ouvrage et sur lequel Keynes a eu des idées révolutionnaires en postulant que l'argent n'était pas seulement un moyen de transaction neutre mais un enjeu en lui-même. Ainsi, l'humain est amené à désirer l'argent pour l'argent (et non l'argent comme vecteur de subsistance, confort ou liberté, ce qui est éminemment légitime), ce qui n'a pas de rationalité économique. C'est cette accumulation qui est au coeur de nombre de perversions du système capitaliste et qui sont plus que jamais d'actualité aujourd'hui (parachutes dorés, bonus énormes dans des entreprises renflouées par de l'argent public, néo-milliardaires russes ayant pillé les ex-compagnies publiques de l'empire, ...).
Là ou le lien entre Freud et Keynes est patent, c'est que ce besoin d'accumulation pour l'accumulation s'explique par la psychologie (à la fois individuelle mais aussi par la psychologie des foules). Freud explique qu'il existe en l'homme, à côté de la pulsion vitale (libidinale) une pulsion de mort, issue de l'érotisme anal, qui pousse l'homme vers la destruction. Le génie de la culture ou encore de la société, notamment capitaliste, est de tourner cette pulsion de mort vers le travail, l'accumulation, le 'toujours plus', le progrès technique. Ainsi, cette puissance malsaine s'accumule en même temps que la société croit. Sauf que cette croissance est vectrice d'une puissance rentrée qui s'abat à chaque rupture de croissance : guerres, violence, génocides. Ainsi, la crise de 29 a enfanté de la seconde guerre mondiale.
Keynes était optimiste quant à l'avenir. Il prédisait que d'ici 2030, les hommes seraient libérés des contingences productivistes et devraient tourner leur vie vers l'art, la beauté, bref que Eros triompherait de Thanatos. Mais peut-on faire confiance en cet indécrottable optimiste puisqu'il pensait que la guerre de 14 ne durerait pas et que la crise de 29 se terminerait en 30 ou 31. Freud était lui plus inquiet de la noirceur de l'homme et aurait volontiers placé quelques pièces sur Thanatos et avec lui la fin programmée du monde tel qu'on le connaît.