La vie secrète du Louvre
de Véronique Maurus (Textes), Jean-Christophe Ballot (Photographies)

critiqué par Glencoe, le 9 septembre 2009
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Autopsie d'un mythe
« On a beaucoup écrit sur le Louvre, des livres, des guides, des romans. Mais c'est toujours un peu la même histoire dorée sur tranche, l'histoire autorisée » (p. 7.). C'est avec ce constat que s'ouvre « La vie secrète du Louvre », une enquête journalistique menée tambour battant par Véronique Maurus, journaliste au Monde et Jean-Christophe Ballot, photographe et réalisateur de films documentaires. Une enquête, dont l'idée est venue à l'auteur, suite au succès planétaire (et plutôt embarrassant aux yeux des vrais enfants du Louvre) du Da Vinci code de l'écrivain Dan Brown. Mais si les deux livres partagent un intérêt commun – le Louvre - , les ressemblances s'arrêtent là. Prière de ne pas confondre le Louvre de Maurus, avec celui de Dan Brown. Deux Louvre, donc? Un de fiction, et un bien réel? Le palais-musée fait rêver tant de monde et depuis si longtemps, que la question semble impossible à trancher. Reprenons: un musée, dont l'histoire remonte jusqu'au 12ème siècle, construit morceaux après morceaux au hasard des caprices des souverains français, un total de 35 000 œuvres d'art, 300 000 objets au bas mot, 1200 gardiens, 2200 employés et une fréquentation frôlant les sept millions de visiteurs par an. On l'aura compris, au Louvre, tout est hors-normes, et rien n'est tout-à-fait comme il paraît. Dans ces conditions, passer derrière le décor du plus beau musée du monde (une hypothèse pour certains, un fait pour beaucoup), invite à l'hyperbole et, comme pour toute transgression, est riche en surprises et en déceptions. Écrit dans un style alerte et un rien iconoclaste, « La vie secrète du Louvre » est donc le résultat de trois mois d'exploration, de rencontres programmées et fortuites, de déambulations guidées par une seule règle: « pour comprendre le Louvre, pas besoin de badge, il suffit d'y aller tous les jours » (p. 8). Première découverte, le Louvre, qui tient autant du musée que de la ville, ne dort jamais. Entre les heures d'ouvertures régulières, les soirées à thèmes, celles réservées aux VIP, la maintenance et la sécurité, il se passe toujours quelque chose au musée. Et la nuit dans cet immense édifice, ajoute à l'illusion d'une présence mystérieuse – l'effet Belphégor – sans doute, surtout dans le département des sculptures. Il y a un « effet Louvre », comme il y a un « imaginaire Louvre », et la superbe photographie en noir et blanc de Jean-Christophe Ballot accentue l'aspect organique du musée. Seconde découverte, le Louvre est une entité hétéroclite, plus proche de la caverne d'Ali baba que du modèle parfait de l'architecture classique. L'expression « éternel chantier » (p. 21) résume parfaitement l'histoire passée et présente du Louvre. Le contraste entre les salles d'exposition et ce qui est caché au public: le réserves, les locaux réservés au personnel, et les salles d'analyse des œuvres d'art, est fort bien illustré. Au Louvre, la sécurité évoque le croisement loufoque entre une migraine tenace et une crise ministérielle, et les trois responsables sont clairement désignés: l'eau, la foule et le feu (p. 25.). Difficile de croire alors que le moine Silas du Da Vinci code aurait trouvé le temps nécessaire pour se défaire du conservateur Jacques Saunière. Mais c'est tout le mérite de ce livre d'offrir à ses lecteurs une visite guidée de la ville-Louvre – ses mythes, ses légendes et ses anecdotes – tout en nous initiant au parler-Louvre (ne dîtes pas: « cette toile est sombre », mais « quel jus musée, ce tableau »). Ainsi, l'on apprend que le Chemin des Chefs-d'œuvre est le parcours balisé (Joconde, Vénus de Milo, Victoire de Samothrace, etc.) vendu par tous les tours-opérateurs: deux heures montre en main, la hantise des services de sécurité et vivement déconseillé aux agoraphobes. De musée encyclopédique (1793), le Louvre est progressivement devenu un produit de consommation culturelle à l'instar de Disneyland, de plus en plus prisonnier d'une logique commerciale agressive, où le risque de plaire à tous sans froisser personne aboutit à des situations plutôt extrêmes. On l'aura compris, le fonctionnement et les objectifs du Louvre ressemblent à s'y méprendre à sa fameuse pyramide: complexes, hiérarchisés et la transparence en moins. Troisième et ultime découverte, le Louvre fait toujours rêver, même après une visite guidée dans ses coulisses. Cela tient pour beaucoup au talent et à l'enthousiasme des auteurs de ce livre. Certes, il y a des déceptions (le Louvre prend l'eau et vit un peu trop sur sa réputation), des préjugés tenaces (le personnel a eu mentalité d'assiégé), mais aussi de bons signes (le musée attire de nouveau les copistes et génère une nouvelle littérature). Alors, si l'envie vous prend de (re)visiter le Louvre, la lecture de « La vie secrète du Louvre » est probablement un aussi bon compagnon que n'importe quel guide officiel, clichés et jargon en moins. Parlez-vous Louvre?