Qui a tué Georges Mandel ?
de François Delpla

critiqué par Hektor, le 22 septembre 2009
(Poitiers - 62 ans)


La note:  étoiles
Aux sources d'un crime
François Delpla se définit lui même comme un historien du nazisme, et particulièrement de la personnalité d'Adolf Hitler. Il déroge pourtant quelque peu à ses marottes pour s'intéresser à un crime politique de la fin du conflit : l'assassinat de Georges Mandel en juillet 1944.

Rappelons d’abord que Georges Mandel, de son vrai nom Louis Rotschild, était sans lien avec la famille de banquiers. Homme politique, d'origine juive, il s’engage très tôt dans le combat pour Dreyfus. A l'occasion d'une collaboration comme rédacteur à l'Aurore au moment de la réhabilitation du capitaine en 1906, Mandel y rencontre Clemenceau et devient son bras droit jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale.

Personnalité de droite emblématique de la IIIe République de l'entre-deux guerres, il prône une alliance avec l'URSS pour faire face à la menace nazie et proteste violemment contre le réarmement allemand et les accords de Munich de 1938.

Pendant la Campagne de France, il est partisan d'un "réduit breton", résolument contre un armistice. Il choisit de partir en Afrique du Nord plutôt qu’en Angleterre à bord du Massilia avec une trentaine d’autres députés pour tenter un coup de force. Ce sera le grief principal porté par les Nazis à Mandel, outre sa judéité, jusqu'en 1944 et son assassinat.

Arrêté au Maroc le 8 août 1940, classé comme belliciste avec Léon Blum et Paul Reynaud, Mandel passe toute la guerre de prison en geôles diverses, remis aux Allemands, puis livré aux Français en 1944.

L'histoire officielle veut que la gestapo ait finalement remis Georges Mandel entre les mains de Vichy, et qu'il ait été exécuté par la Milice de Darnant le 9 juillet 1944, en représailles de l'assassinat de Philippe Henriot le 28 juin précédent à Paris par la Résistance.

Les biographies consacrées à Georges Mandel ne manquent pas. On peut citer l'imposante somme de Bertrand Favreau chez Fayard, celle sur l'homme médiatique de Jean-Noël Jeanneney, et le Georges Mandel, le moine de la politique d'un certain Nicolas Sarkozy, paru en 1997 alors qu'il était ministre.

Le livre de François Delpla se limite quant à lui, aux dernières années de la vie de Mandel, et veut focaliser sur les conditions et responsabilités exactes de son exécution.

Quinze chapitres constituent cet ouvrage traité comme une enquête, organisée en deux grandes parties.

La première, sur une douzaine de chapitres passe chronologiquement en revue l’ensemble des évènements s’étendant de 1939 à 1944, dans une étude hyperbolique et détaillée des origines et du déroulement de l’occupation et de la collaboration. L’objet ici serait de démontrer que l’exécution de Georges Mandel « vient de loin » et qu’il ne s’agit surtout pas d’un évènement isolé, décidé aux dernières heures d’un Vichysme et d’une occupation déclinants. L’auteur va chercher vraiment très loin ces racines, trop loin sans doute, avec les habituelles digressions de ses ouvrages. On en perd parfois le fil. Cela pourra lasser d’autant que certaines tentatives de démonstration ne reposent sur rien d’autre que les réflexions de l’auteur.

Alors deux cents pages de trop ? Peut-être pas, car l’intérêt de ces lignes, sans grand rapport avec le thème principal du livre, est de montrer l’extrême complexité politique sous l’occupation, et donne lieu à certains rappels et profils pertinents. Loin du manichéisme et du simplisme que l’on nous conte dans pas mal de livres, François Delpla décrypte les relations hyper complexes du monde politique franco-allemand sous l’occupation et leurs tiraillements, un style en droite ligne d'un Paxton.
Instructif.

Cette vision « longue portée » n’est toutefois pas nouvelle et certains évènements présentés comme des découvertes (le fait que le trio Mandel-Blum-Reynaud dans cet ordre avait un pistolet sur la tempe depuis 1940 par exemple) étaient déjà débattus dans les années 70, par des historiens comme Henri Michel(1) ou Jean-Louis Crémieux-Brilhac (2). Il faut être quand même bien naïf pour croire qu'un "crime de la Milice" est une affaire autonome, sans au moins un appui nazi. Il est vrai qu'on a pu lire ce genre de choses ici ou là, mais on n'est pas obligé de s'arrêter très sérieusement sur chaque affirmation journalistique.

Le cœur du sujet, si l’on peut dire, est adressé dans les quatre derniers chapitres, l’épilogue et la conclusion. Qui a tué Georges Mandel ? La réponse est stratifiée, trois zones de responsabilité étant successivement étudiées : les auteurs du meurtre, les donneurs d’ordre et les instigateurs.
Si pour les deux premiers, l’auteur n’amène aucune révélation fracassante, mais plusieurs précisions bienvenues, le rôle précis de la Milice et de la SS ayant été repéré depuis des années, la zone de responsabilité liée au sommet de la hiérarchie nazie est plus originale.

C’est en assemblant toutes les pièces du puzzle des premiers chapitres de son livre que l’historien en arrive à cette conclusion. Bien que séduisante et convaincante, il ne s’agit pourtant que d’une hypothèse, car le discours ne s’appuie sur aucune preuve. Les auteurs de l’assassinat ainsi que les donneurs d’ordre ont disparu sans parler. On ne saura donc sans doute jamais qui a véritablement commandité le meurtre de Georges Mandel. Hitler, pourquoi pas ? On peut quand même se demander s'il n'avait vraiment rien d'autre à faire à ce moment du conflit, cinq semaines après le débarquement de Normandie et à l'instant du lancement de l'opération Bagration sur le centre allemand du Front russe ?

En conclusion, Qui a tué Georges Mandel est une enquête intéressante sur ces années sombres avec un rappel pertinent de l'existence d’une autre résistance intransigeante face au nazisme et surtout, un prétexte à un examen nuancé mais sans concession de la collaboration, malgré quelques réflexions et conclusions hasardeuses. A lire, même si les réponses à la question posée en titre ne font pas forcément avancer le débat.

(1) v. Henri Michel, Le procès de Riom, Albin Michel, 1979, pp. 55-63 « Le cas de Paul Reynaud et Georges Mandel ».
(2) Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Français de l'an 40, T.1 La guerre oui ou non ?, Gallimard, 1990