C'était notre terre
de Mathieu Belezi

critiqué par CC.RIDER, le 5 octobre 2009
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Roman choral
Une longue lignée de colons, les de Saint-André a transformé une étendue de sable et de caillasses stériles du Dahra algérien en une vaste et opulente propriété de centaines d'hectares où poussent le blé, l'orge, la vigne, les orangers et les citronniers. Les descendants de Jules, le colon fondateur, vivent sans souci d'argent mais avec de nombreux problèmes familiaux : la mère, Hortense, est l'épouse bafouée d'un certain Ernest, ex-petit blanc de Bab El Oued, qui passe ses journées à boire du whisky et ses nuits dans les bras de prostituées. Elle a eu trois enfants, Antoine qui ne veut pas reprendre le domaine et déteste sa condition, Claudia qui a fait un mariage raté et Marie-Claire qui souffre de ses penchants homosexuels et finira au couvent. De plus, l'époque est difficile, le règne des pieds-noirs n'en a plus pour bien longtemps, la guerre d'Algérie arrive avec son cortège d'horreurs. La famille de Saint-André échappera-t-elle à la tourmente ? La propriété redeviendra-t-elle un désert ?
Plus qu'un roman historique, « C'était notre terre » est surtout un roman familial, la saga d'une famille attachante, broyée par les meules impitoyables de l'Histoire. Le style de Belezi est très particulier et demande quelques efforts au lecteur. En effet, il ne s'embarrasse d'aucun détail descriptif ou circonstanciel, proscrit le point et privilégie le témoignage alterné de chacun des six personnages majeurs du drame sans se soucier non plus d'ordre ou de chronologie. Tous les récits étant à la première personne du singulier et apparemment sans autre logique que l'afflux des souvenirs du locuteur, le lecteur se retrouve face à une sorte de récit « choral », un peu incantatoire (avec redîtes des points importants) proche du registre du théâtre antique. La phase d'adaptation passée, on peut apprécier ce texte magnifique, plein de sensibilité, d'honnêteté (rare sur un tel sujet, la bassesse et l'horreur étant équitablement répartie entre les deux camps) et d'humanité. On ne ressort pas indemne de la lecture de ce long pavé (475 pages) qui illustre parfaitement le drame de la colonisation en général, « fardeau de l'homme blanc » (Kipling dixit) et celui de l'Algérie en particulier.
L'ALGERIE COLONIALE REVISITEE 10 étoiles

C’est un roman singulier que celui de Mathieu Belezi : l’évocation de l’histoire de l’Algérie coloniale, celle des grands propriétaires terriens à travers un dialogue à plusieurs voix, celles des Saint-André et des Jacquemain, propriétaires du vaste domaine agricole de Montaigne, situé dans le village de Cassagne dans le Dahra berbère.

Ernest Jacquemain est le propriétaire du domaine de Montaigne. Homme cruel, infidèle, volontiers violent avec ses domestiques, d’un autoritarisme implacable, il règne en patriarche.
Hortense Jacquemain, son épouse, tout aussi imbue de sa supériorité prétendue d’européenne, adhère tout comme son époux aux valeurs du système colonial : brutalité, culte de l’autorité, de la violence comme argumentaire permanent, est en proie aux tentations de toute nature ; elle succombe elle aussi à l’adultère.

Les enfants de ce couple, Antoine, Claudia, Marie-Claire, tenteront d’échapper, chacun à leur manière, à cet héritage oppressant .Marie-Claire, pour échapper à une homosexualité jamais révélée au cercle familial, entre dans un couvent en Bretagne. Claudia se marie et Antoine connaîtra un destin cruel : après avoir aidé le FLN, il est exécuté au cours d’une corvée de bois, mais la cause réelle de sa mort restera dissimulée à sa famille.

Les personnages dialoguent par des apostrophes, justifications de leurs conduites et exposés de leurs souffrances issues de l’abandon final de cette terre d’Algérie. Toute la violence de l’histoire est contenue dans ces dialogues. Sans outrance, sans pathos , Mathieu Belezi nous fait pénétrer dans les ressorts de cette histoire tragique dont il rappelle une composante essentielle : le recours quasi-permanent à la violence, confinant à la démence : « Il y avait bien assez d’hommes torturés, égorgés, coupés en tranches, bien assez de femmes violées et éventrées, bien assez pour moi, mais pas pour tout le monde puisque le Algériens en venaient à s’en prendre aux Algériens et les Français aux Français étaient-ils devenus fous ? »

Est-ce une restitution d’une conception du monde ? Est-ce une autopsie de l’Algérie coloniale ? La réponse n’est pas certaine à l’issue de la lecture de ce roman incantatoire, qui nous transporte vers ce passé colonial revisité par ces voix douloureuses.

TRIEB - BOULOGNE-BILLANCOURT - 73 ans - 23 avril 2012


Les douleurs des deux camps 8 étoiles

J'ai bien aimé ce livre. Chaque chapitre donne la voix à un des membres de cette famille de colons ainsi qu'à la principale domestique, Fatima. Chacun, avec sa mentalité, ses idées, décrit sa vie, ce qu'il estime être son droit, son Algérie jusqu'à l'Indépendance en passant par toutes les atrocités commises par les deux camps. A travers, toutes ces narrations, on ressent tout l'amour qu'ont certains pour cette terre et ce pays. La chaleur, les odeurs. Par contre, j'ai trouvé la fin exagérée, les deux soeurs qui se retrouvent après 30 ans de séparation et qui deviennent "jobardes" en recréant dans leur appartement un peu de leur domaine algérien perdu et qui séquestrent une employée d'origine algérienne qu'elles ont embauché, c'est un peu poussif...

Kikounette - Nîmes - 52 ans - 5 novembre 2011


Un roman bouleversant 10 étoiles

C'était notre terre est vraiment un coup de coeur, une rencontre inoubliable. Il avait tout pour me déplaire au départ: des phrases interminables, sans point, des niveaux de narration multiples, des passages en italique... Mais je me suis laissé bercer par cette musique (oui oui c'est vraiment une musique qu'on entend). Deux scènes fortes me reviennent quand je pense à cette oeuvre: le chapitre où Fatima prend enfin la parole, au coeur même du roman et la scène où le fils aimé succombe à ses tortures.
Un livre à lire: vraiment :)

Kaftoli - Laval - 59 ans - 19 février 2011