Lignes de vie

Michel Déon publie des extraits du journal qu’il écrit non comme une confession quotidienne mais pour noter une réflexion, raconter une anecdote, savourer une amitié, décrire une femme qui passe, prolonger une rencontre, écouter le temps et regarder le monde. Pour cet homme, si discret sur lui-même, « tenir un journal aide peut-être à croire à sa propre existence ». L’édition de cet automne, joliment imprimée en bleu, est composée d’extraits qui vont de 1947 à 1983 sans qu’on sache les raisons du choix de cette période. La sélection des textes ne s’est pas faite « au hasard de la fourchette » comme aurait dit Mauriac, qui insupporte Déon, mais « au couteau ».
C’est bien sûr du Déon avec son style vigoureux, voire incisif, son art de conter, sa fidélité en amitié, ses rencontres, son admiration pour quelques maîtres (on retrouve ici ceux qu’il a remerciés dans ses « Lettres de château » pour avoir été ses compagnons de vie), mais aussi ses agacements, ses colères que n’adoucit pas toujours un humour pour le moins corrosif.
Il faut lire ce journal à la recherche non pas de la petite phrase assassine comme l’ont fait quelques critiques mais de la cohérence d’une vie et de ses lignes fortes. Michel Déon pose sur tout ce qui a fait sa vie le regard « d’un poète de l’œil » pour reprendre ce que disait de lui le grand critique des années cinquante, Robert Kemp.
Les rencontres ont toujours eu chez cet écrivain une importance qui paraît plus enrichissante que chez d’autres. Ici, nous croisons Eva Peron qui refuse de lui accorder un entretien et qui « sans condescendance, ni affectation, tend sa main baguée et s’en va dans un nuage de parfum », Mae West « monument d’une Amérique où le mauvais goût dans ses excès devient le goût », le cinéaste Billy Wilder, auteur de « Certains l’aiment chaud », mais il est vrai qu’à l’époque « le monde était alors à portée de main ». Il reste fidèle à ses amitiés de jeunesse ou d’opinion et le succès ne l’en détournera pas. « Echanger des souvenirs qui enracinent notre amitié ».Il restera à côté de ceux qui avaient choisi le mauvais camp, furent souvent frappés à la Libération d’indignité nationale et dont le talent ne put leur éviter « la conspiration du silence et l’indifférence ». Il enrage encore aujourd’hui contre ces « vieillards prêts à sacrifier avec une morne indifférence une jeune génération [la sienne] qui prenait le chemin de l’abattoir sans se rebeller ». Il ridiculise les Jean-foutre comme ce pauvre général Gamelin, chef des armées en 39-40, qui prend le temps de répondre aux lettres que reçoit sa femme, trop occupée à courir les thés mondains ou cet académicien qu’il surnomme Lecomte-Ringard. On ne savait pas Déon si mordant. Et puis, comme toujours, Michel Déon parle admirablement de littérature et des auteurs qui ont marqué sa vie notamment Stendhal qu’il cite ainsi : « Je crois que pour être grand dans quelque domaine que ce soit, il faut être soi-même ». Eh bien dans son journal, Déon est fidèle à lui-même et c’est en cela qu’il est un grand écrivain.
Le journal d’un écrivain est souvent inégal car il n’a pas la puissance et la cohérence d’un roman ou d’un essai et ce même quand ce journal a été réécrit par l’auteur avec la volonté d’en faire une œuvre à part entière. Celui-ci n’échappe pas à ce reproche, accentué par le fait qu’il s’agit d’extraits. Le couperet est-il toujours tombé au bon endroit ? On aimerait avoir l’ouvrage entier pour en juger. « Mon journal sera publié, peut-être, mais après moi ». Souhaitons, malgré notre envie d’en savoir plus, que ce sera le plus tard possible.

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  Journal, 1947-1983 [Texte imprimé], extraits Michel Déon,...

  de Déon, Michel
  l'Herne / Carnets de l'Herne
  ISBN : 9782851979117 ; 12,20 € ; 01/10/2009 ; 139 p. ; Broché

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