Les Vagues
de Virginia Woolf

critiqué par Lancelot du Lac, le 20 novembre 2009
(Genève - 37 ans)


La note:  étoiles
"Saturer chaque atome"
"Le plus difficile et le plus complexe de tous mes livres" - Virginia Woolf -

Si l'écriture de ce livre, né dans la douleur, a été un enfantement pour son auteur, il en est de même pour son lecteur. La densité de chaque page demande des ressources inattendues et une opiniâtreté toute particulière, qui est récompensée au final par la beauté fulgurante des images qui se créent dans notre esprit par le biais des comparaisons et des métaphores invoquées.

Virginia rend possible la compatibilité entre une narration, certes originale, car les dialogues ne sont en fait que des monologues intérieurs, et la poésie pure.

Chaque chapitre s'ouvre sur une description poétique de la nature et d'un univers marin indéterminé, et jalonne chacune des périodes de la vie des protagonistes. Virginia Woolf nous injecte dans l'intimité affective de six personnages marqués par leurs différences et que le lecteur définit laborieusement au fil des pages par le regard que chacun porte sur l'autre. Elle pose ainsi de manière complètement nouvelle la question de l'identité:

"Comme l'addition d'un ami nous transforme curieusement, même à distance... L'utilité des amis est incontestable, en ce qu'il nous font entrer dans la réalité. Et pourtant, est-ce assez pénible d'y devoir entrer, de se sentir mêlé, adultéré, fondu, de faire partie d'un autre être? A mesure que cette personne approche, je cesse d'être Moi pour devenir Neville plus quelqu'un. Plus qui? Plus Bernard. Oui, c'est Bernard, et c'est à Bernard que je vais reposer la question: qui suis-je?"
- Neville, "Les vagues" -

Sûrement un des livres les plus bouleversants que j'ai lu. La justesse des phrases m'a presque systématiquement ébranlé, renouvelant ma vision de la poésie. La profondeur du propos étant manipulée avec finesse par les doigts de fée d'une Virginia Woolf au génie incontestable, on peut, je crois, crier encore une fois au chef-d'oeuvre!
Dissection des âmes et relations humaines 9 étoiles

Ce roman qui laisse beaucoup place aux dialogues intérieurs, aux états d'âmes, offre une analyse psychologique et des rapports humains du début du XXI siècle. Chaque balade, chaque sortie, chaque conversation deviennent signifiantes pour dresser un état des lieux des comportements, comme des humeurs du moment.
Il s'ensuit que ce livre demeure assez complexe, donc difficile à lire, ce qui invite à le méditer et utilement le relire, pour pouvoir en profiter pleinement. Il amène à réfléchir.

Veneziano - Paris - 47 ans - 14 août 2022


Echec complet 1 étoiles

Le groupe de lecture auquel je participe avec intérêt chaque mois avait choisi ce livre et je m'y suis donc plongé. Je me doutais bien que j'aurai à me confronter à des difficultés. Celles-ci ont dépassé mes attentes. Elles rejoignent en fait celles que j'éprouve devant une grande majorité des écrits poétiques, auxquels j'ai fini par éviter de me frotter. Là, j'étais en quelque sorte obligé et j'ai calé au bout de quelques pages. La forme du récit, comme le fond, n' a suscité de ma part aucun intérêt. Le mien va ailleurs. Je ne peux me refréner sur ce plan. Du coup, le nombre d'étoiles que je mets, obligatoire, n'a pas grand sens, car il n'est que la traduction de mon échec.

Falgo - Lentilly - 85 ans - 29 janvier 2018


Avec des vagues de poésie... 9 étoiles

Il est bien prétentieux de vouloir écrire sur un texte de Virginia Woolf, tant de personnes talentueuses et qualifiées l’ayant déjà fait et souvent brillamment. Je me contenterai donc, en toute modestie, d’évoquer la lecture que j’ai faite de ce texte. Michel Cuzin, le traducteur et préfacier, tout comme l’auteure elle–même, précise qu’il ne s’agit nullement d’un roman et selon beaucoup pas plus d’un texte biographique. Pour ma part, je n’ai pas lu ce texte comme un roman, il y a bien des personnages mais très peu d’interactions entre eux et pas réellement une histoire dont ils seraient les protagonistes. J’ai ressenti cette lecture comme une confidence, comme si Virginia Woolf voulait nous dire qui elle est, ce qu’elle ressent, ce qu’elle éprouve, ce qui l’émeut, ce qui l’afflige, ce qui l’angoisse, … comment elle traverse sa vie. Elle achève la rédaction ce texte vers la cinquantaine et se jettera à l’eau dix ans plus tard.

Virginia Woolf construit son propos en réunissant, l’un à la suite de l’autre, de longs soliloques des sept personnages qu’elle met en scène, ils prennent ainsi la parole tour à tour pour rapporter ce qu’ils vivent, ce qu’ils ressentent, ce qu’ils éprouvent, … tout ce que Virginia souhaite confier aux lecteurs. A mon sens, elle utilise la multiplicité des narrateurs pour élargir le champ des possibilités, pour multiplier les émotions, les sentiments, les sensations, les observations minutieuses, …, tout ce qu’une seule personne ne pourrait ni éprouver, ni ressentir. D’ailleurs elle le confie à plusieurs occasions qu’elle n’est pas une, elle est complexe« … je ne suis pas une seule personne ; je suis beaucoup de gens ; je ne sais pas vraiment qui je suis – Jinny, Susan, Neville, Rhoda ou Louis ; ni comment distinguer ma vie de la leur ».

L’interrogation identitaire traverse son texte : « Mais qui suis-je appuyée sur cette barrière,…, ? Je crois parfois que je ne suis pas une femme, mais la lumière qui tombe sur cette barrière, sur ce sol. Je suis les saisons, je le crois parfois, janvier, mai, novembre ; la boue, la brume, l’aurore ». L’auteure semble vouloir se réfugier dans des personnages multiples ou dans une abstraction corporelle pour y loger tout ce qu’elle ressent, ce qui ne saurait convenir à façonner un seul être cohérent. Elle semble ne pas trouver sa place dans le monde, elle n’existe qu’à travers un tout qui déborde de son être. « Nous avons terriblement souffert en devenant des corps séparés ».

Ainsi à travers ses personnalités multiples, chacune ayant un profil bien déterminé : il y a le poète, l’homosexuel, l’exilé, celui qui meurt trop tôt, etc…, elle fait rouler les vagues de son texte qui portent tout ce qu’elle cherche à faire comprendre, ressentir, sous des aspects divers. Chacun apportant sa version, l’auteure peut multiplier les facettes des différents événements qu’elle vit, des sentiments qu’elle éprouve, des émotions qu’elle ressent… Elle n’est pas une, elle multiple, elle est complexe quand elle évoque l’enfance et la nostalgie de cette époque où la petite troupe s’ébattait à la campagne au sud de l’Angleterre, elle n’est pas plus seule sur la vague des sensations qu’elle éprouve devant un paysage, un animal petit ou grand,…, pas plus seule sur la vague des sentiments qui agitent son hypersensibilité, pas plus seule sur la vague des impressions qu’elle devinent en regardant et écoutant les autres, jamais seule, toujours multiples sur toutes la vagues qui véhiculent le bonheur, les contraintes, les souvenirs, tout ce qui constitue la vie qu’elle a menée jusqu'à ce jour terrible où ils apprirent la mort de l’un d’entre eux. Qui sonne comme la mort de Thoby, le frère adulé, dont elle ne s’est jamais remise.

Ces vagues c’est tout ce qui revient sans cesse sur le sable de la vie de Virginia, ce qui agite la petite troupe du roman jusqu’à ce que la mort fauche l’être le plus précieux de la phratrie, de la petite bande. Cette partie du texte concerne ce que Virginia a connu avant la mort de son frère, ce qu’elle voudrait faire ressurgir. Le nœud de ce récit c’est la rencontre de la petite troupe après la mort de Percival, là ou chacun dit ce qu’il pense des autres sans aucune retenue. Les masques sont tombés, la mort a mis les âmes à jour. La vague de la vieillesse, la vague de la déchéance, la vague des souffrances,…. viennent clore le récit.

Virginia nous l’a dit elle a la nostalgie de son enfance avec frères et sœurs, cousins, cousines, amis, amies, elle n’est jamais réellement sortie de cette enfance, elle s’est réfugiée dans le monde des mots, « Ils attrapent au vol des phrases qui font des bulles », mais elle culpabilise d’être aussi sensible, aussi fragile, elle voudrait aller de l’avant, être ! « … comme les enfants nous nous racontons des histoires, et pour les enjoliver nous fabriquons ces belles phrases ridicules, flamboyantes. Comme je suis fatigué des histoires, comme je suis fatigué des belles phrases qui retombent si merveilleusement bien sur les leurs pieds ! » Mais la vie est cruelle, la douleur laissée par l’horreur de la guerre avec son cortège morts et d’estropiés, les deuils familiaux, se nichent dans le texte comme dans le cœur de Virginia. Comme ses personnages, elle lutte pour aller toujours de l’avant. « Petit animal que je suis, les flancs pantelant de peur, je reste là, palpitante, tremblante. Mais je ne veux pas avoir peur. Je vais me donner le fouet à mes flancs. Je ne suis qu’un petit animal pleurnichard qui cherche l’ombre ».

Mais la lutte semble veine, « Je vois des oiseaux sauvages ; et des pulsions plus sauvages que les oiseaux les plus sauvages surgissent de mon cœur sauvage ». Quel désespoir et quelle phrase ! Je ne peux pas juger le travail des traducteurs mais le rendu est magnifique. En ouvrant ce livre Je craignais de me noyer dans ses vagues mais j’ai flotté sur celle du plaisir en lisant ses lignes d’une poésie pure et délicate, même le désespoir et beau dans ce texte, hélas il annonce une fin malheureuse et attristante : « Le lys éphémère est bien plus beau que le chêne qui dure trois cents ans ». Le destin de l’auteure était déjà peut-être dans cette phrase prémonitoire.

Débézed - Besançon - 77 ans - 12 septembre 2017


Les vagues 10 étoiles

Ceci n’est pas un roman.
Ceci pourtant est un roman.

Six amis d’enfance, Bernard, Louis, Neville, Susan, Jinny, Rhoda, suivent ensemble le même cursus scolaire.
Par la suite, ils se retrouvent à différents moments de leur vie, dans le même restaurant, où chacun fait le bilan des années écoulées.
Chacune de ces retrouvailles constitue un chapitre du livre, introduit par une description poétique, par la narratrice, d’un instant d’une unique journée de la course du soleil. Le premier chapitre est ainsi annoncé par l’aube, et le dernier par le crépuscule. Un jour et six vies s’écoulent en parallèle.

Chacun parle à tour de rôle.
Chaque propos est rapporté directement, systématiquement introduit par le verbe « dire » :
« Nous sommes ici, dit Jinny… »
« Il faut se ranger par deux, dit Susan… »
Et ainsi de suite.

Mais le lecteur est très vite conscient que les discours ne se répondent pas directement : il sent un étrange décalage, la « co-respondance » n’est pas au rendez-vous.
Et très naturellement il remplace le verbe « dit » par le verbe « pense ».

Car c’est là que réside la beauté et la force du « roman », dans une suite ininterrompue de monologues intérieurs.
Aucune action : tout ce qui permet de « suivre » l’évolution des caractères et le déroulement de la vie de chaque personnage se trouve évoqué dans ses propres pensées et dans celles des cinq autres.

En vérité, chacun est seul dans son être, et lors de ces réunions régulières, personne ne retrouve personne.

Et puis il y a la septième figure, Perceval, un compagnon qui n’est jamais de la compagnie, un ami de jeunesse que chacun aime, admire, idéalise, le chevalier qui part en Inde aider les misérables et qui y meurt d'une chute de cheval.
Celui-là ne « dit » rien, il est « dit » par les autres.
Il les hante.

Ecrire une ligne de plus à propos de ce chef-d’œuvre (roman, poésie, théâtre tout à la fois) serait l’abîmer.

A lire de toute urgence.

FROISSART - St Paul - 77 ans - 9 décembre 2009