Pinocchio
de Winshluss

critiqué par Clamence, le 26 novembre 2009
(saint quentin - 43 ans)


La note:  étoiles
Ne laissez pas venir à moi les petits enfants...
Winschluss, de son véritable patronyme Vincent Paronnaud, a d’abord pré-publié son Pinocchio dans la revue Feraille Illustré, avant de l’interrompre pour réaliser l’adaptation de Persépolis de et avec Marjane Satrapi (Vincent Paronnaud, c’est lui).
On retrouvera globalement la trame du roman de Collodi : de la création du héros à ses errances bibliques dans le ventre de la baleine en passant par le pays des jouets, le petit Pinocchio erre, sur ses traces son papa-démiurge, ivre de chagrin et d’abnégation...Non, stop.

C’est que, voilà, Winshluss n’est pas Walt Disney. Auteur et dessinateur trash, décalé, décadent, mais ô combien talentueux, son album n’est pas à mettre entre toutes les mains- surtout les petites menottes- Si Crumb vous fait hurler, que vous trouvez Gotlib (et je ne parle pas de Gai-Luron...) vulgaire, qu’Edika vous laisse de marbre et encore je n’ai pas parlé de König, passez votre chemin, et sans vous retourner encore.

Son Pinocchio n’est pas un enfant en devenir, grandi, humanisé et sublimé par l’amour d’un père dont la seule richesse est le talent de voir jaillir la vie sous ses mains, ici Pinocchio est un petit robot mortel, sans conscience, sans âme, s’il avance c’est que ma foi son monstre d’inventeur l’a ainsi conçu : Pinocchio n’est rien moins qu’un programme de destruction massive destiné à l’armée. Jiminy criquet est un cafard SDF soucieux de trouver dans le cerveau opérationnel du gamin fou une piaule bien chauffée où il pourra s’adonner à la boisson et à l’écriture d’un best-seller sur l’inanité de son existence ; quant à la baleine, c’est l’innocent poisson nourri aux déchets nucléaires devenu Monstro. Quand Pinocchio croise Blanche-Neige, c’est de loin, les nains pervers sont trop occupés à faire la fête à la gente demoiselle sous le regard horrifié mais non moins hypnotisé de Bambi et Pan Pan.

Ses classiques, Winschluss les connaît plus que bien et les maltraite avec une précision dans les détails, une beauté dans certaines planches qui vous donne envie de les arracher à l’album (aquarelle, palette graphique, etc, les techniques sont multiples). Doit-on pour autant limiter l’œuvre à son esprit cynique, plus que corrosif, à ses pratiques sexuelles débridées et gênantes, abordant sans aucun complexe le suicide, la toxicomanie, la misère sociale, j’en passe et des pires ?

Et bien non : si la trame de Collodi est suivie, la construction narrative de ce Pinocchio est foisonnante et complexe, les aventures de Jiminy sont autant d’interludes séparés de l’ensemble, les héros d’autres contes archétypés ont leur propre existence (à noter que Gotlib et bien d’autres ont déjà bien joyeusement massacrés avant Paronnaud les héros de notre enfance, je pense « au bois Huon », in Rubrique-à-brac, et je préfère ne pas vous dire ce qu’il a fait d’Oreste ou de la dame aux Camélias..) ; et dans ce long et bel album où finalement, vous regarderez bien plus que vous ne lirez tant les paroles sont absentes, fleurissent, aussi, des références au monde tel qu’il est, tel qu’il fut, et espérons-le, tel qu’il ne deviendra pas : l’exploitation d’orphelins condamnés à construire dans la misère et la terreur des jouets hors de prix, c’est une histoire hélas qu’on connaît bien, et dans le graphisme et la narration, c’est aussi du Dickens. L’île du parc d’attraction est celle d’un dictateur, et si les enfants captifs se transforment non pas en ânes mais en loups armés, assoiffés de sang, vêtus d’uniforme et de brassards clairement explicite, on voit là aussi, que Winschluss connaît « la Bête est morte » (Dancette, Zimmermann et Calvo).

Noir, donc, Franquin aurait certainement adoré, caustique, grinçant à vous briser les dents, mais sublime, poétique aussi, dans ce graphisme sublime des pages pleines d’un seul dessin, et puis, Baudelaire l’a dit, « le beau est toujours bizarre ». Ce bizarre-là, j’en redemande.
conte toujours.... 10 étoiles

Voilà le type d'ouvrage sur lequel je ne me serai même pas arrêté sans le coup de projecteur du festival d'Angoulême 2009. En effet, depuis quelques années, j'ai délaissé, par lassitude et souvent par déception, les bandes dessinées dites indépendantes, au profit des mainstreams.

Pourtant, ce livre est en tout point remarquable : une couverture soignée, à la Chris Ware (d'ailleurs c'est ce même festival d'Angoulême qui m'a révélé Jimmy Corrigan), un papier de grande qualité et une pagination importante, 200 pages que j'ai lues d'une traite tant Winshluss a adapté d'une façon intelligente le roman de Carlo Collodi.

Enfin, lu c'est vite dit car cette bande dessinée est quasi-muette, seules les pages consacrées à Jiminy le cafard (qui remplace le célèbre criquet) sont pourvues de dialogues. A la lecture, je ne me suis guère ennuyé, au contraire. C'est irrévérencieux (Ah ! Blanche Neige croquée par Winshluss vaut le détour !), parfois trash, quelquefois drôle mais surtout bien construit. Un scénario qui ne laisse aucune place à l'improvisation.
Winshluss a bâti une mécanique parfaitement huilée qui, jusqu'à la dernière page, nous surprend et nous enchante.

Mais plus que l'adaptation du roman éponyme de Callodi, c'est sans nul doute à celle de Walt Disney que Winshluss a songé lorsqu'il a écrit ce livre.

Il s'agit, je pense, d'un ouvrage qui plaira à tout amateur de bd, tant le récit est fort et extrêmement bien pensé.

Pour ceux qui étaient, comme moi, passés à côté de la première édition (d'ailleurs vite épuisée), profitez du nouveau tirage que les Requins Marteaux viennent de faire paraître.

Un livre incontournable qui mérite d'être lu et surtout relu.

Hervé28 - Chartres - 55 ans - 4 septembre 2011


PHÉ-NO-MÉ-NAL ! (Punk’s not dead) 10 étoiles

Un prix du meilleur album du Festival d'Angoulême largement mérité pour cette reprise très librement inspirée et surtout complètement déjantée du « Pinocchio » de Carlo Collodi. Ici, Pinocchio est un petit robot quasiment indestructible, le seul à ne pas mentir au milieu de personnages tout aussi abjects et méprisables les uns que les autres, y compris Geppetto son créateur, qui cherchera à vendre « son invention » aux militaires. Ces derniers finiront par le considérer comme dangereux alors que c’est davantage leur propre stupidité qui constitue la menace numéro un…

Voilà en tout cas un album ô combien rafraîchissant et complètement hors normes, on en reste littéralement sur le cul ! L’auteur, issu de la BD indépendante tendance destroy, a pris quasiment toutes les libertés graphiques et scénaristiques, les seules limites étant celles imposées par les dimensions de la page… N’hésitant pas à alterner un trait sale à la Vuillemin avec des illustrations superbes, délicates et poétiques, en passant par un fusain délibérément désuet ou encore des crobards minimalistes proches de l’amateurisme, esprit punk oblige, l’auteur nous scotche littéralement tout au long de ce pavé de près de 200 pages.

Ce mélange des genres ne choque même pas, tant la fascination pour cette histoire (quasiment) sans paroles joue à plein. Il s’agit bien là d’un parti pris car sous ses faux airs de bazar graphique, l’auteur sait exactement où il veut nous emmener et suit son fil rouge sans dévier d’un pouce.

Quant au scénario, il est à l’image du graphisme, complètement azimuté : Blanche-Neige y fait même une apparition au milieu de sept nains maniaques sexuels, c’est dire… L’histoire avance à un rythme d’enfer, sans temps mort, un peu comme le robot incontrôlable qu’est ce « punkocchio ». Ce récit picaresque fait d’ailleurs beaucoup penser au Candide de Voltaire, avec un héros qui se finit toujours par se sortir des situations les plus périlleuses. Question textes, seuls les « intermèdes » avec Jiminy Cafard en comportent, et c’est toujours très décalé… Ce dernier, qui se contente de squatter le crâne de Pinocchio au lieu de lui faire la morale comme son double « Cricket » dans la version de Disney, débite des vérités pas toujours bonnes à dire, telle cette sentence prononcée à l’adresse de son pote lors d’une soirée alcoolisée : « Le grand projet, c’est de nous rendre débile pour mieux nous enfiler, mec ! ». Parole d’alcoolo certes mais pas moins lucide pour autant…

C’est donc à la fois créatif, foisonnant, trash, drôle, poétique, et surtout sans compromission pour les âmes sensibles ou inhibées, mais cet OVNI a été conçu un peu comme un cocktail explosif jeté à la gueule du monde, en situation pré apocalyptique du fait de la bêtise, de l’égoïsme et de la rapacité de l’espèce dominante : la nôtre. C’est aussi un joli conte pour enfants qui ne veulent pas s’en laisser conter, ou pour adultes qui ont su garder leur âme d’enfant…

Et comme en guise de pied de nez, l’ouvrage est présenté dans un format luxueux, ce qui en fait un objet magnifique qu’on a peur d’abîmer… Pas très punk, j’en conviens, mais si ça peut servir la cause, après tout… Comment ça, j’ai pas parlé de chef d’œuvre ? Fuck, who cares anyway ?…

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 5 janvier 2011