La treizième nuit et autres récits
de Ichiyō Higuchi

critiqué par Dirlandaise, le 27 novembre 2009
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Et tombent les feuilles mortes de l'automne...
La jeune romancière Higuchi Ichiyô, décédée de la tuberculose en 1896 à l’âge de vingt-trois ans, est considérée comme un des grands classiques de la littérature japonaise moderne. Ce livre est un recueil de cinq nouvelles écrites de 1892 à 1895. Certaines comme « Le Son du koto » sont très courtes, alors que « Eaux troubles » occupe la moitié du volume. C’est d’ailleurs cette dernière ma préférée.

L’œuvre de la jeune japonaise ne va pas sans évoquer Kawabata pour la beauté et la poésie de l’écriture et Lao She pour les thèmes de la misère et de la déchéance humaine. En effet, avec une belle écriture poétique et raffinée, l’écrivaine met en scène des êtres humains malheureux, aux prises avec un destin que souvent, ils n’ont pas choisi et subissent péniblement. Je pense à O-Seki, l’héroïne de la nouvelle « La treizième nuit », qui, bien qu’issue d’un milieu très modeste, se voit demandée en mariage par un jeune homme riche s’étant entiché d’elle. Quelques années plus tard, mère d’un enfant et femme respectée, O-Seki laisserait tout derrière elle afin de reprendre sa liberté et retrouver un peu de joie de vivre. Le bonheur est curieusement absent de ces nouvelles empreintes de tristesse, d’un profond pessimisme et d’une douce mélancolie. Les personnages essaient d’échapper à leur destin misérable en vain. La fatalité et la résignation triomphent de l’espoir et des rêves les plus fous. Les femmes n’ont pas d’autres choix que de supporter une vie conjugale décevante ou bien l’humiliation suprême de devoir travailler en maison close. Les hommes trouvent au fond de la bouteille de saké la consolation d’une vie de dur travail abrutissant qui ne mène nulle part. Les amours de jeunesse sont mortes mais leur souvenir est encore bien vivant au fond des cœurs. C’est d’une grande tristesse et souvent dramatique.

Plusieurs notes de bas de page extrêmement intéressantes et instructives précisent la signification de coutumes japonaises religieuses et traditionnelles. L’auteure ayant beaucoup lu de poésie, de nombreuses références sur différents poètes japonais sont également données.

Dommage que la mort soit passée, emportant avec elle cette jeune fille bourrée de talent, qui a dû exercer de petits boulots misérables afin de survivre après la faillite et la mort de son père. Quelle belle œuvre aurait pu naître de cette plume magnifique ! Que la mort est cruelle parfois, elle emporte tout avec elle dans le néant. Il nous reste quelques textes à découvrir et à apprécier cependant, mince consolation…

J'ai enlevé la moitié d'une étoile car la première nouvelle m'a parue un peu plus faible que les autres.

« Tandis que les flocons dansent dans le ciel comme les ailes de papillons silencieux et qu’ils couvrent à perte de vue la terre d’un manteau d’argent, voilà que sur les arbres dénudés de l’hiver les cristaux rivalisent de leurs pétales avec les fleurs de printemps… Combien j’envie ceux qui célèbrent dans leurs poésies et leurs chants la beauté de la neige, à côté de celle de la lune et des fleurs ! Pour moi, il n’en est rien. Les jours où elle tombe et tombe sans fin, la neige me rappelle un passé douloureux, et encore très présent. Elle me plonge dans les remords et la tristesse. Elle me noie dans huit mille regrets inutiles. »