Une histoire de la musique : Des origines à nos jours
de Lucien Rebatet

critiqué par Jefopera, le 4 décembre 2009
(Paris - 60 ans)


La note:  étoiles
Une histoire aussi brillante que mêchante
Journaliste à "Je suis partout", auteur de pamphlets ignobles (son dernier article, publié le 28 juillet 1944, s'intitule "Fidélité au national-socialisme"... que de clairvoyance quelques semaines après le débarquement...), condamné à mort à la Libération, finalement libéré après une longue peine de prison, Lucien Rebatet offre à bien des égards le visage d'un personnage répugnant.

En 1969, il publie "Une histoire de la Musique". Le mélomane qui cherche un ouvrage de référence sur le sujet doit passer son chemin car cette histoire, totalement subjective, injuste, passionnée, pleine de jugements tranchés et péremptoires, pourrait sembler toute droit échappée des brochures de propagande ou manuels scolaires du IIIème Reich si la culture et le style éblouissants de Rebatet ne venaient à eux seuls en justifier la lecture.

Dithyrambique quand il s'agit des compositeurs allemands (à l'exception notable de Mendelssohn, que Rebatet, pour des raisons qu'on imagine trop bien, ne doit pas considérer comme vraiment allemand), méprisant pour une part importante de la musique française, franchement injurieux quand il s'agit de Sibelius, Grieg, Tchaikovsky ou Rachmaninov, l'ouvrage recèle pourtant de pages magnifiques sur Mozart, Verdi, Strauss et Debussy. Quand on aborde Wagner, on passe de l'admiration au culte, voire au fanatisme, et cela gêne quand même beaucoup quand on connaît les sympathies de Rebatet.

Il serait vain de lister les méchancetés gratuites tant elles abondent. Juste une à titre d'exemple, à propos de Lakmé de Léo Delibes, "opéra de pacotille, où il n'y a guère de plus insipide exercice pour sopranos mécaniques que les cocottes de l'air des clochettes". Natalie Dessay, qui a laissé de Lakmé une magnifique interprétation, pleine de finesse, de grâce et de sensibilité, appréciera le compliment....

Le problème est que, souvent, la méchanceté fait mouche parce qu'elle vise juste, tant Rebatet est doué d'un sens de la formule peu commun. Ainsi, de la célèbre scène de la folie de Lucia di Lammermoor, il écrit : "l'air de la folie conviendrait aussi bien avec ses trilles, ses roulades, pour une chasse aux papillons que pour les cris et les hallucinations de cette jeune femme dans sa blanche robe de mariée toute éclaboussée du sang d'un époux exécré". Ce n'est pas totalement faux et quand même bien balancé.

D'une fluidité remarquable, véritable exercice de style, le livre se lit comme un roman dont on tourne fébrilement chaque page, dans l'impatience de savoir quelles vont être les prochaines victimes.

Pourtant, le travers de Rebatet, outre le filtre idéologique assez détestable au travers duquel il fait trop souvent passer ses jugements, c'est de considérer l'histoire de la musique comme celle d'un progrès technique, celui de la composition musicale, de l'usage savant du contrepoint et de l'harmonie jusqu'à la destruction finale des codes effectuée par l'école de Vienne, point d'orgue au progrès.

Trop souvent, et on le sent mal à l'aise à ce sujet quand il aborde les compositeurs italiens, Rebatet fait l'impasse sur la beauté et l'émotion. Mais pouvait-on attendre davantage de sensibilité de la part d'un individu aussi peu sympathique ?
Passionné et controversé 8 étoiles

La critique de Jefopera m’avait frappé par sa pertinence et m’avait incité à revisiter ce livre que j’avais lu en 1979, l’année de sa réédition.
Je ne suis pas assez connaisseur pour en faire une critique aussi fouillée et surtout je ne connais absolument rien de l’auteur. Mais à l’époque j’avais été frappé par ses partis pris et ses jugements à l’emporte-pièce ; et puis cette volonté de faire un classement des compositeurs selon ses critères à lui, m’avait assez étonné.

J’ai toujours eu ce livre à portée de main parce qu’il est intéressant à consulter mais je le vois différemment depuis que j’ai lu la critique de Jefopera.
C’est vrai que pour Rebatet, il n’est de bonne musique que allemande. Mais quand il parle d’un compositeur allemand il est passionné et passionnant.
Par contre il tempête contre le nationalisme partisan des Français : « en France, on dénigre tel auteur parce que trop allemand. C’est dire à quel point le goût et la culture musicale a pu déchoir dans notre pays. »
Idem avec les Italiens qui « s’isolent dans leur péninsule (…) comme si le monde entier tournait autour de la Scala, et qu’il ne pût exister ailleurs de musique digne d’être écoutée. »
Par contre il sait rendre hommage au génie de Liszt et de Berlioz mais en soulignant quand même que ce sont les Allemands qui les ont « découverts » pour les Français, parce que les Français ne connaissent rien à la musique.
À propos du public et des critiques, il a la dent longue : « Le public et les critiques préfèrent toujours les œuvres de second ordre qui leur offrent de l’art révolutionnaire une version tempérée, de bonne compagnie, dans une forme qui ne heurte aucun préjugé d’oreille. »

Ce qu’il dit de Camille Saint-Saëns m’avait simplement révolté : « Compositeur de concert du dimanche, sans le moindre génie (…) des fantaisies pour piano dont le froid bavardage sacrifie aux modes les plus niaises de deux générations (…) exotisme frelaté, chromos d’un riche voyageur qui fit le tour du monde, les oreilles bouchées puisqu’il n’en rapportât rien d’authentique… »
Avec Mendelssohn, il est plus nuancé – il lui reconnaît du génie –mais aussitôt il parle de musique rustique, d’insignifiance mondaine, de joliesse sans invention, etc, etc…
Ces attaques m’avaient choqué parce que Saint-Saëns et Mendelssohn sont, avec Beethoven et Schubert, mes musiciens préférés.

Mais comme je ne connais la musique classique qu’en simple amateur, j’en avais conclu que Rebatet et moi, nous n’avions pas les mêmes goûts, sans plus. Et d’ailleurs, que penser d’autre ?
J’avais encore été plus irrité à l’époque en voyant ce qu’il disait de Sibelius, Grieg, Tchaïkovski, Dvorak et autres Rachmaninov. C’est d’un parti pris tout à fait hargneux et inexplicable. Et je ne comprends toujours pas aujourd’hui cet acharnement à démolir ces compositeurs…

Ceci dit, comme le souligne la page 4 couv, « on ne peut résister au plaisir d’ouvrir ce livre dans tous les sens pour voir ce que l’auteur dit de tel morceau ou de tel musicien ».
C’est bien vrai : c’est un livre qu’on a beaucoup de plaisir à consulter, surtout quand il parle d’un musicien allemand ou d’un autre qu’il apprécie, parce qu’on sent qu’on a à faire à un passionné doublé d’un vrai connaisseur.

Je dois ajouter que la lecture de cette Histoire de la Musique ne permet pas du tout de soupçonner les options politiques de l’auteur. (En tous cas, personnellement, je n’ai remarqué aucun indice).
Il faut dire aussi que le lecteur sera immanquablement choqué par les partis pris et les a priori de l’auteur à propos de certains musiciens dont le talent est universellement reconnu ; tant il est vrai que la passion ne peut excuser ces critiques qui frisent le mépris pour ne pas dire, l’insulte.

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 29 décembre 2009