Je vous emmène
de Joyce Carol Oates

critiqué par Elya, le 3 janvier 2010
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
Philosophie studantine dans les années 60
Le récit commence sur des descriptions lourdes mais riches en détails d'architecture, de lieux, d'habitats, annonçant une plume saisissante et talentueuse. On s'installe petit à petit dans l'histoire, dans le pseudo-chaleureux du foyer des Kappa Gamma Pi, cette sororité dont l'héroïne s'est donnée corps et âme pour en faire partie.

Le roman se découpe en 3 parties qui se déroulent toutes 3 dans les années 60, que l'on pourrait résumer ainsi : le quotidien houleux, solitaire d'une jeune fille d'origine modeste, extrêmement intelligente et douée pour les lettres, au sein d'un univers où la superficialité et la mondanité sont rois.
Puis l'arrivée dans la vie de cette jeune fille d'un homme noir dont elle tombe éperdument amoureuse, et cette jeune fille auparavant maligne et espiègle deviendra dévouée et assommante.
Dans la dernière partie, le poids et les liens de la famille auront toute leur importance.

Ces 3 parties, ces 3 périodes d'une vie, sont intimement liées par l'art de la philosophie qui est le leitmotiv du livre, richement agrémenté de citations de Socrate, Nietzsche, Schopenhauer, qui enclencheront des bribes de réflexions métaphysiques entre les protagonistes concernant l'amour, le besoin d'autrui, la reconnaissance... "Entre un seul et aucun, il y a un infini".
Représentatif de la situation critique dans laquelle se trouve le personnage principal, qui est aussi le narrateur, de par sa dévotion pour un homme affable, ce passage "L'issue. Montrer à la mouche par où sortir de la bouteille fut l'espoir qui anima Ludwig Wittgenstein toute sa vie, mais la vérité est que les êtres humains ne veulent pas sortir de la bouteille ; nous sommes captivés, fascinés, par l'intérieur de la bouteille ; ses parois de verre nous caressent et nous consolent ; ses parois de verre sont les limites de nos expériences et de nos aspirations ; la bouteille est notre peau, notre âme ; nous ne souhaiterions pas voir nettement, sans la barrière du verre ; nous serions incapables de respirer un air plus pur ; nous serions incapables de survivre à l'extérieur de la bouteille. Ou nous disons, dans le langage aux échos de verre de la bouteille, qu'il en est ainsi."

Quelques incohérences parsèment le récit, notamment concernant le caractère de cette héroïne qui se décrit comme peu timide, alors que dans son comportement, ses agissements, ses points de vue, c'est tout le contraire que l'on découvre. Sur la fin, des touches d'humour sarcastiques pimentent agréablement le récit.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser à la lecture du résumé présenté par l'édition, le thème de la politique, des droits civiques, de la lutte raciale est peu abordé.

Il s'agit d'un roman dense, profond, intriguant ; j'ai été surprise de découvrir que contrairement à beaucoup de livres de Oates, il n'avait pas encore été critiqué.
Trois parties 7 étoiles

J.C. Oates est une de mes auteures préférées. J’ai adoré « Les Chutes » bien sûr mais surtout « Nous étions les Mulvaney ». Bizarrement, pour ce roman-ci, j’ai pris 4 mois de mon temps avant de le terminer alors que dans l’édition de poche, il ne faisait que 369 pages.

Comme vous le savez, il est divisé en 3 parties. La première partie qui se déroule dans une école pour « Kappa Gamma Pi » m’avait pas mal accroché et les personnages de l’héroïne et de la terrible Madame Thayer y étaient certainement pour quelque chose. Vint la deuxième partie où Anellia rencontre Vernor et en tombe éperdument amoureuse. Son amour n’est pas partagé et je n’ai donc pas partagé non plus sa passion pour ce personnage : trop d’atermoiement, trop de philosophie. Enfin, quand je revins à la troisième partie où l’héroïne rencontre ses parents, sa famille, l’intérêt réapparut et ma lecture s’en est retrouvée passionnante et rapide.

Ceci n’apporte que peu d’eau au moulin du lecteur de cette « critique » mais il me plaisait de dire quelques mots tout de même de ce roman apprécié par beaucoup de lecteurs. A noter tout de même que l’écriture de Oates n’est pas en cause car son art est entier et je suis toujours aussi admiratif de son élégant style.

Ardeo - Flémalle - 77 ans - 1 septembre 2019


mes jeunes années 10 étoiles

Dans ce récit, probablement autobiographique (du moins on le pense tant la narration est dépourvue d'artifices), l'auteure nous raconte ses jeunes années, de son départ de la ferme familiale, pour suivre des études supérieures, jusqu'à la mort de son père, qu'elle va revoir après une longue, trop longue absence. Désarrois de la fin de l'adolescence lorsque, étudiante boursière, elle loge dans une résidence universitaire pour filles (une "sorority") où ses "consoeurs" et la "mère supérieure" (?) lui en font voir des vertes et des pas mûres. Découverte de l'amour, dans les bras d'un étudiant attardé, brillant philosophe mais piètre compagnon. Enfin, retrouvailles avec un père qui l'a tenue à l'écart jusqu'à quitter le giron familial après la mort de sa mère, survenue lorsqu'elle avait dix-huit mois. L'histoire est simple et peut se raconter sans préjudice pour le lecteur, car ce n'est pas un roman à suspense. L'intérêt principal réside dans la sincérité et la finesse de l'analyse psychologique. La narratrice dépeint ses sentiments et sa vision du monde extérieur avec une acuité rarement présente dans la littérature contemporaine. Le trouble est généré par le contraste entre les paroles qu'elle prononce et les pensées qu'elle garde bien cachées au fond de son coeur. Celles-ci apparaissent en italique, d'abord sous la forme de citations car c'est dans sa culture que l'adolescente parvient à trouver les mots pour le dire, puis elle met ses propres paroles à la place. Comme tout cela est vrai, comme tout cela nous ressemble, à tout un chacun! Cerise sur le gâteau, la traduction de Claude Seban est remarquable. Un chef-d'oeuvre!

Jfp - La Selle en Hermoy (Loiret) - 76 ans - 2 mai 2010