Le puits de Augusto Céspedes
( Sangre de mestizos : relatos de la guerra del Chaco)
Catégorie(s) : Littérature => Sud-américaine
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Tais-toi, creuse !
« … Mes hommes creusent, creusent, creusent l’atmosphère, la terre et la vie d’un mouvement lent et atone de gnomes. » Dans le Chaco, en 1933, quand les Boliviens et les Paraguayens s’étripent, espérant trouver du pétrole dans cette région désertique et particulièrement inhospitalière, un sous-officier bolivien et sa vingtaine de sapeurs doivent trouver de l’eau pour les soldats qui fondent sous le plomb du soleil qui écrase le front.
Après plusieurs tentatives infructueuses, ils décident de creuser un puits plus profond pour chercher l’eau plus bas, dans le ventre de la terre. Mais leur tentative est aussi vaine que l’attente des soldats de Buzzati dans le désert des Tartares, l’eau est aussi rare au cœur de la terre qu’à sa surface. Malgré tout, la troupe ne désespère pas et continue à creuser en n’espérant même plus trouver cette eau indispensable à la vie de la troupe, donnant ainsi une réalité à ce puits par le seul fait de le creuser et d’y souffrir jusqu’à la mort. Et, ce puits, devenu tellement réel, tellement imprégné de leur vie, de leur souffrance, de leur douleur, devient une partie d’eux-mêmes, une partie de cette petite troupe, ce qui laisse croire à l’ennemi qu’il a une réelle fonction. Il devient alors objet de convoitise et donc enjeu de combat. « Le puis est en train d’acquérir à nos yeux une personnalité effrayante, essentielle et dévorante, se transformant, en seigneur inconnu des sapeurs. »
Ce micro livre, très esthétique, est constitué de cette seule et brève nouvelle tirée d’un recueil plus important écrit par Céspedès quand il était correspondant pendant la guerre du Chaco. D’une écriture très raffinée, félicitations à la traductrice, ce texte, une véritable épure, touche du doigt en quelques phrases ciselées, l’absurdité des actions de l’homme, la puérilité des luttes envieuses mais aussi la réalité des choses qui naissent par le seul fait que les hommes les désirent. C’est du Buzzati en raccourci et en condensé, l’eau de Céspedès est l’armée tartare que les soldats de Buzzati attendent avec de moins en moins de crédulité. Il est aussi remarquable de constater que les brèves notes qui constituent cette nouvelle, s’espacent au fur et à mesure que le temps s’écoule, de janvier à décembre 1933, comme l’espérance s’évapore au soleil du Chaco, comme la nature humaine révèle ses véritables limites dans des conditions extrêmes. « C’est la mort de la lumière, la racine de cet arbre énorme qui pousse la nuit, éteint le ciel et endeuille la terre. »
Les éditions
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Le puits [Texte imprimé] Augusto Céspedes trad. de l'espagnol (Bolivie) par Martine Couderc
de Céspedes, Augusto Couderc, Martine (Traducteur)
Atelier du Gué / Nouvelles du monde (Villelongue d'Aude).
ISBN : 9782902333172 ; 50 F ; 23/12/1997 ; 55 p. ; Broché
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"La mort de la lumière"
Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 10 mai 2010
« Le travail continue. Le puits est en train d’acquérir à nos yeux une personnalité effrayante, essentielle et dévorante, se transformant en maître, en seigneur inconnu des sapeurs. »
À la fin, les hommes font des rêves d’eau, l’activité onirique des ouvriers étant devenue d’autant plus intense qu’en s’enfonçant dans le sol ils perdent la lumière.
« C’est la mort de la lumière, la racine de cet arbre énorme qui pousse la nuit, éteint le ciel et endeuille la terre. »
Le trou les lie, les attache comme un ennemi invisible, acquiert une puissance symbolique, une force d’anéantissement. On pense à des nouvelles de Kafka et, comme l’a bien dit Débézed, à du Buzzati. Sept mois après le commencement de leur improbable besogne, les travaux sont arrêtés. Mais le trou béant qui atteint près de cinquante mètres de profondeur sera l’objet d’un ultime enjeu…
Les notes du narrateur s’attachent aux éléments, la terre comme une chair morte, l’eau comme principe de plaisir, l’air raréfié et étouffant, le feu du soleil qui chauffe et assoiffe. La guerre qui accable les hommes s’est déplacée, le temps d’un vain forage, sur le terrain de l’existentiel, « les condamnant à perdre le contact avec la lumière, renversant ainsi le sens de leur existence d’êtres humains. »
Merci - doublement - à Débézed pour cette lecture.
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