La Kermesse
de Daniel Poliquin

critiqué par FranBlan, le 21 janvier 2010
(Montréal, Québec - 82 ans)


La note:  étoiles
Pas conquise...!
La kermesse du titre a lieu dans les jardins de l’église Saint-Jean-Baptiste, à Ottawa, pour fêter le premier anniversaire de l’Armistice...
La période couverte par le roman s’étend de 1914 à 1934, soit du début de la Première guerre mondiale jusqu’à l’aube de la Seconde guerre mondiale. Le personnage principal et narrateur se prénomme Lusignan. Il affirme dès les premières pages que le folklore de son village lui a appris certaines choses, puis il ajoute: «j’ai inventé le reste du mieux que je pouvais (…) ma mémoire exagère, je sais, mais c’est la seule façon de faire vrai».
Ceci est ma première lecture de cet auteur, l'écriture de Daniel Poliquin est limpide, dynamique et celui-ci exprime des choses avec une sensibilité bouleversante, cette même écriture est aussi délirante; l'alternance des voix et des registres relève de la prouesse littéraire!
Traducteur au Sénat, notre protagoniste devient officier-interprète dans le Régiment d’infanterie légère de la Princesse Patricia. C’est là qu’il rencontre Essiambre d’Argenteuil, un homme qui l’envoûte et à qui il prête «le pouvoir de dissoudre toutes mes insuffisances». Lusignan devient lieutenant et amant d’Essiambre. 
Quiconque a vécu à Ottawa se retrouve en pays de connaissance en lisant La Kermesse. On passe de la Côte-de-sable, avec son église du Sacré-Cœur, au Flatte ou Plaines Lebreton, avec ses paroisses Saint-Jean-Baptiste (Dominicains) et Saint-François d’Assise (Capucins), surtout avec son Hôtel Couillard où Lusignan ramène ses conquêtes féminines.
Lusignan, personnage principal de cette fresque unique, a l’art d’être proprement insupportable dans le bonheur… et de se surpasser dans le malheur...
J’ai parfois trouvé que l'auteur étirait certaines scènes ou certains passages. Entre autres, une dame de la haute société écrit des lettres à un officier commandant et cette correspondance m’a souvent paru excessivement longue, pour ne pas dire fastidieuse...
À d'autres moments le même auteur m'a éblouie; à titre d’exemple, les pères capucins qui figurent dans certaines scènes se prénomment Céleste, Fidèle et Candide..., un de leurs confrères est enfin nommé missionnaire, non pas chez les Papous «qui l’auraient peut-être crucifié comme il en rêvait dans sa jeunesse: on l’a plutôt envoyé en pays de colonisation, à Timmins (…) où l’hiver dure huit mois.»!!!
C'est sans aucun doute un récit souvent empreint d'émotion et surtout, l'humour pétillant qui m'ont motivé à compléter la lecture de ce livre qui dans son ensemble ne m'a pas entièrement conquise, je dois avouer...
Retour d'un militaire à la vie civile 7 étoiles

La Première Guerre mondiale sert de toile de fond à ce roman pour illustrer la difficulté d’adaptation d’un militaire réformé, qui s’est établi à Ottawa à son retour à la vie civile.

Dans un premier volet, l’auteur exhibe la personnalité des personnages. La présentation se révèle fastidieuse à cause de la méconnaissance des liens qui existent entre eux, mais le caractère d’authenticité des portraits maintient quand même l’intérêt pour les protagonistes, tous issus de milieux qu’ils veulent quitter. Ils choisissent un tremplin urbain pour se réaliser, en occurrence la capitale fédérale. Lusignan, le héros, s’y emmène après ses études à Nicolet. Grâce à du piston, il décroche un emploi de fonctionnaire avant de s’enrôler dans l’armée comme rédacteur et traducteur.

Le deuxième volet forme la voûte de ce triptyque en entrecroisant la destinée de chacun. La rencontre capitale a lieu alors que le héros est initié à la fellation par Essiambre d’Argenteuil, un frère d’armes mort au champ d’honneur. Lusignan le considère comme l’unique personne qu’il n’ait jamais aimée. Après la guerre, il tente de joindre ceux qui l’ont connu, en particulier Amalia Driscoli. Une kermesse organisée par une paroisse d’Ottawa lui permet de la coudoyer sans toutefois lui fournir l’occasion de la revoir. Il n’aura pas plus de chances auprès de Concorde, une bonne qui le rejette pour son manque d’engagement. Commence alors la descente aux enfers du héros. Heureusement, il trouve sur son chemin le père Mathurin, son ancien professeur, qui lui offre l’hospitalité de sa communauté pour le protéger de la clochardise.

Enfin, le roman indique comment les contraintes de la vie réduisent au silence les aspirations les plus légitimes. Amalia, qui voulait gravir les échelons sociaux en profitant de ses accointances auprès du Gouverneur général, le fils de la reine Victoria, doit gagner sa vie en exploitant ses talents d’artiste; le père Mathurin obtient une cure au lieu d’une obédience chez les Papous, et les tergiversations de Lusignan le reconduisent dans sa Mauricie natale, où il tente de refaire sa vie.

Daniel Poliquin exploite la quête de l’ailleurs pour se donner une identité. En somme, il trace le profil de protagonistes en transit vers un plus être dans le cadre d’une éducation à l’eau bénite et d’une époque qui s’échelonne de 1910 à 1939. L’auteur excelle surtout dans l’étude des caractères en fonction des aspirations qui animent les personnages. La facture de ses romans comprend souvent ces deux pôles : projet et échec. Bref, cette étude bien articulée, mais qui se perd dans les détours, est très éclairante eu égard aux difficultés des militaires qui réintègrent la vie civile dans un milieu qui ne leur est pas familier pour se réinventer.

Libris québécis - Montréal - 82 ans - 4 octobre 2013