Des feuilles dans la bourrasque
de Gabriel García Márquez

critiqué par Jules, le 27 janvier 2002
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Un très jeune homme et déjà du grand art !
Ceci est le premier roman du futur prix Nobel de 1982. Il n'avait que dix-neuf ans quand il l'a écrit ! Bien jeune donc mais, à le lire, on se demande par moment comment un aussi jeune homme pouvait déjà cerner l’être humain à ce point.
Il ne cernait pas seulement déjà l’être humain, mais aussi son environnement et le conditionnement que crée celui-ci. Dans ce livre, il y a des personnages, bien sûr, mais aussi le vent, le soleil, la chaleur, le temps qui passe ou ne passe pas, et les odeurs.
Ecoutez-le : « L’air ne bouge pas, je crois qu’on pourrait le toucher et même le tordre comme une tôle. » et « A nouveau la pendule succombe au bord de la minute à naître, à nouveau le rasoir s'immobilise dans les limites de son acier…. Mais le nouveau mouvement est contrarié : papa entre dans la chambre et les deux temps de réconcilient, les deux moitiés se ressoudent, elles se consolident, et la pendule de Mme Rebecca comprend qu'elle s’est laissé abuser par la retenue de l’enfant et l’impatience de la veuve, alors elle se met à bailler, troublée, elle plonge dans la prodigieuse tranquillité du moment et en ressort ruisselante de temps liquide, de temps exact et corrigé… »
L’histoire est simple et est racontée par trois personnages. Il y a le Colonel, sa fille et son petit-fils. A tour de rôle ils se relaieront pour nous la raconter. Dès les premières pages, nous apprenons qu'un homme s’est pendu, alors qu’il vivait seul et reclus dans sa petite maison du village de Macondo. Le Colonel avait promis à cet homme que, quoiqu’il arrive, il veillerait à ce qu'il soit enterré.
Il était arrivé à Macondo des années auparavant. Ce jour là, le nouveau curé était attendu avec impatience par une petite foule et une fanfare. Et voilà que se présente sur la route un homme décharné, tirant une mule chargée d'un énorme coffre. Ce n’est pas le curé ! Au même moment, celui-ci entrait dans Macondo par un petit chemin et prenait, seul, possession de sa cure. Tous les deux vont marquer le village à tout jamais !
Le curé sera reconnu comme ayant été un ancien militaire particulièrement courageux. Il est décrit ainsi : « On constata que son visage évoquait un crâne de vache morte, qu'il avait les cheveux gris tondus à ras et pour lèvres une ouverture horizontale qui ne paraissait pas occuper l'emplacement naturel de la bouche mais être l’oeuvre postérieure d’un coup de couteau inattendu. » Un curé pour le moins bizarre, à la très forte personnalité !
Quant à l'homme qui était entré par la route, il avait un regard jaune, inquiétant, qui déshabillait les femmes, et il ne prononçait jamais une parole de trop. Il était médecin et s'était présenté au Colonel munis d'une lettre de recommandation. Sans que ce dernier ne donne l’ombre d’une explication à sa famille, ce médecin vivra chez lui et sera nourri par lui pendant huit ans. Il y recevra aussi sa clientèle. Un jour, il partira, accompagné de la bonne du Colonel, et s'installera dans une autre maison du village dont il ne passera plus jamais le seuil.
Quelque temps plus tard, des bandits envahirent le village et laissèrent plusieurs blessés sur le carreau. Les habitants viendront l’appeler à l’aide en tant que seul médecin du village mais il refusera d’ouvrir sa porte et les laissera mourir.
A compter de ce jour, la population vivra dans l’attente, et le rêve, de sentir enfin l'odeur de son corps pourrir dans sa maison. Mais voilà, le Colonel se doit de tenir sa promesse, au risque d'être lynché par ses concitoyens.
Gabriel Garcia Marquez mène cette histoire avec brio. Toutes les questions ne trouveront pas réponse, mais là n’est pas l’important : l’essentiel est dit et écrit.
Le village, le trio des trois hommes, le temps, la chaleur, les odeurs… Tout est là !
une traduction impeccable ! 8 étoiles

A lire les quelques phrases que tu nous cites, on est effectivement ahuri d'admiration devant ces mots issus du cerveau d'une jeune homme de 19 ans.. Je crois aussi qu'il a bénéficié d'une traduction française irréprochable réalisée par quelqu'un qui n'était pas seulement traducteur, mais aussi poète ou écrivain... Sinon, pour ce qui est de ce langage imagé, pour avoir voyagé dans ces contrées exotiques et me targuer d'en connaitre la langue, je puis t'assurer que le commun des mortels utilise un langage bien plus empreint d'images qui frappent l'imagination que le nôtre..

Darius - Bruxelles - - ans - 27 janvier 2002