Vent Debout
de Joseph Conrad, Renaud De Heyn (Scénario et dessin)

critiqué par Shelton, le 25 janvier 2010
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Attention, ça décoiffe !
Avez-vous bouclé votre paquetage ? Oui, si ce n’était pas le cas, n’ouvrez pas cette bande dessinée, elle ne pourrait que vous pousser vers des flots tumultueux que vous ne seriez pas prêts à affronter ! J’exagère à peine… Ici, seuls les marins confirmés sont admis et à condition de s’être munis d’un paquetage complet, d’une dose de courage et d’un brin de fatalisme…

Joseph Conrad, écrivain anglais d’origine polonaise, d’une famille pauvre et décimée par la maladie, était fasciné par la mer. En 1874, il décide de devenir marin, part pour le port de Marseille et embarque sur un voilier où il apprendra, au jour le jour, le dur métier de marin. C’est cette expérience qui lui servira à écrire ce roman, « Le Nègre du Narcisse » (1897) qu’a utilisé Renaud De Heyn pour sa bande dessinée. Joseph Conrad deviendra par la suite un véritable navigateur de la marine marchande britannique, il deviendra capitaine au long cours, puis écrivain à partir de 1886…

Passionné de voyage, Renaud De Heyn, a participé à la création d’une maison de bandes dessinées, La cinquième couche, où il a publié « La tentation », mélange de bédé et de carnet de voyage. Il voulait, c’est lui qui le dit, passer à des récits plus structurés, plus narratifs, et c’est ainsi qu’est née l’idée d’une adaptation du roman de Joseph Conrad.

Nous sommes donc à bord d’un voilier, un beau trois-mâts, sur l’océan Atlantique de toute évidence, mais nous n’aurons pas plus de renseignements sur les destinations, cargaisons ou autres faits de ce voyage. L’objet du récit n’est pas de nous faire voyager sur les mers, de nous faire rêver, de conquérir une quelconque Toison d’or. Renaud DE Heyn, à la suite de Joseph Conrad, veut nous emmener à bord, nous faire fréquenter les marins, nous faire souffrir avec eux… Il cherche à provoquer notre fatigue, notre révolte, notre haine… Haine contre qui ? Les éléments, la nature, le hasard, les officiers du bord, la bêtise des autres… A vous de choisir, le choix est très large.

Une narration graphique étonnante, atypique, un dessin qui nous permet de plonger dans une époque lointaine mais sans jamais tomber dans les belles bandes dessinées classiques où les fameux trois mats nous dépaysaient avant de nous inviter à bord. Nous n’avons pas envie d’un tel bateau pour nos vacances…

La tempête va s’inviter à bord, comme la maladie, comme la révolte, comme la sottise qui est là depuis le départ. Du coup, tous les sentiments humains changent, la mort devient omniprésente et chacun peut s’interroger sur son avenir. Certaines vignettes, proches de grandes aquarelles, font glisser un peu de poésie au cœur de cette histoire que l’on peut classer dans les cruelles. Mais, attention, rien n’est complètement définitif. Ici, on sent que le moindre rayon de soleil, la plus petite des accalmies, une once de terre à l’horizon… peut apporter le calme de nouveau. Nous sommes, probablement, dans un récit de l’instabilité, de l’incertitude, de l’improbable…

D’ailleurs, qu’attendent les marins ? Le temps du repos, les femmes faciles du port, le jour de la paye, un verre de rhum… Chacun positionne ses espérances, mais le capitaine doit, lui, leur faire comprendre que l’espérance majeure, celle qui est au-dessus de tout, c’est de conduire le bâtiment à bon port… mais on ne sait pas où, seul lui le sait, mais il n’en parle pas…

J’ai beaucoup aimé ce travail, cette histoire, cette bande dessinée… je pense même que je vais tenter de trouver ce roman de Joseph Conrad et en profiter pour le lire. Comme quoi la bédé peut conduire tout droit aux autres formes de littératures !

Présentation du roman de Joseph Conrad :
http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/12007