Eloge des voyages insensés : Ou L'île
de Vassili Golovanov

critiqué par Aliénor, le 2 février 2010
( - 56 ans)


La note:  étoiles
Voyage initiatique
C’est le titre de ce livre qui avait en tout premier lieu attiré mon attention. Un titre qui laissait présager qu’il ne s’agissait pas d’un simple récit de voyage. Et je n’ai pas été déçue car c’est effectivement bien plus que ça.
Ce périple dans le grand Nord effectué par l’auteur, un journaliste russe plutôt désabusé qui a longtemps porté en lui cette expédition avant de la concrétiser, est une initiation. Initiation pour lui bien sûr, mais aussi pour le lecteur, qui découvre l’île de Kolgouev, polaire et presque désertique. Et avec elle sa flore, sa faune, et surtout ses habitants peu nombreux : les Nenets.
Les faits, les impressions, les sentiments divers et opposés ressentis, les contes et légendes liés à cette île ; tout se mêle en une prose lyrique qui fait de ce livre une œuvre assez magique et totalement inclassable.

Ma préférence va aux deux premières parties des quatre qui composent l’ensemble. Intitulées le livre du rêve et le livre de la fuite, elles sont pour moi les plus belles et les plus poétiques. Car elles font la part belle à l’imaginaire de cet homme qui a tant rêvé de cette île. Une île fantasmée et idéalisée (« C'est l'idée de l'île que j'ai aimée, bien avant d'y mettre le pied »). Les deux suivantes, le livre de l’expédition et le livre des destins, sont le journal de l’aventure puis de son achèvement et fourmillent de détails sur les écrits d’autres explorateurs qui ont avant lui fait l’expérience de la vie sur ce territoire perdu au bout du bout du monde. Un territoire vu comme une quête du Graal qui donnera sens à sa vie… à la vie.
Et la conclusion de ce récit montre que cette quête n’aura pas été vaine, même si la conquête fut coriace.
Le Sylvain Tesson russe ? 9 étoiles

A travers d'anciens récits de voyage et la poésie de quelques dessins, Vassili Golovanov a développé une obsession pour l’île de Kolgouev, là haut, loin au nord.
Aussi, dans une période de déprime, il fuit la vie moscovite, ses déceptions, ses routines, et il part pour essayer de retrouver un sens. Il va se réfugier pour quelques temps dans l’île. Choc et cruelle confrontation quand il découvre les tristes signes du présent, car les anciens habitants qui vivaient de l’élevage des rennes vivent maintenant des subventions de l’Etat, désœuvrés, dans des baraquements. L’alcool les a privés de leur dignité et la modernité soviétique indifférente aux considérations écologiques a souillé les plages. Mais Vassili fait néanmoins quelques rencontres humaines d’une grande profondeur et commence à se familiariser avec les pratiques traditionnelles.
La magie de l’île l’incitera donc à revenir avec le fils d’un ami et à entreprendre un périple à travers Kolgouev, guidé par quelques habitants dont il avait apprécié le bon sens et la fiabilité. Ces dix jours de marche dans la toundra sont une expérience dure et intense qui occupe une place centrale dans le livre. Occasion d’aller à la rencontre d’une nature inviolée, à la rencontre de l’histoire et des traditions nomades des autochtones, d’aller à la rencontre de soi-même.
Vassili en a-t-il fini avec l’île ? Non car elle le poursuit, il retrouve sa trace dans d’autres livres et récits… Il réalise qu’il n’est pas encore allé jusqu’au bout de la magie, qu’il n’a pas su décrypter les signaux que lui adressaient certains de ses interlocuteurs, qu’une part de la légende lui échappe encore ! Il faudra un troisième voyage, une troisième expédition pour atteindre la sérénité et retrouver avec un cœur pur sa femme et sa famille.

Ce roman est une véritable expérience, dense et parfois rendu confus par les flash-backs. Comme Kolgouev, comme un voyage initiatique, il n’est pas facile d’accès et se mérite. Il nous fait suivre une réflexion philosophique et métaphysique sur l’homme, sur la société, sur le choc entre société moderne et sociétés traditionnelles. J’ai été impressionné par l’érudition de Vassili Golovanov qui multiplie les références littéraires et les citations et par son travail de journaliste : au-delà du récit de son parcours il a complété le roman par des documents annexes retranscrivant les témoignages recueillis pour tenter de sauver le souvenir des personnalités qu’il a pu croiser et un peu de cette mémoire enchantée du grand nord.

Romur - Viroflay - 51 ans - 16 février 2021