L'art du Haïku : Pour une philosophie de l'instant
de Matsuo Bashō, Vincent Brochard, Issa, Shiki

critiqué par Dirlandaise, le 12 février 2010
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Une porte ouverte sur le bonheur
Que c’est beau un haïku né sous la plume de grands maîtres ! Je ne me lasse pas de lire ces petits poèmes de trois lignes rédigés il y a longtemps par des poètes tels que Bashô, Issa ou Shiki. Cela semble tout simple d’écrire trois petites lignes mais il est plus compliqué qu’il n’y paraît car pour être bon, un haïku doit rassembler un certain nombre de caractéristiques comme par exemple, comporter au moins un mot évoquant une saison, être bien balancé, avoir été écrit dans un instant de sincérité et de lucidité où l’être humain redevient comme un petit enfant et perçoit les choses aussi clairement que lui, sans utiliser son intellect ni ses connaissances acquises. Quand on est un adulte, cela est très difficile à réaliser. Il faut être capable d’oublier son ego, de se mettre en condition de réceptivité maximale et alors, le haïku jaillit de lui-même et il ne reste qu’à le coucher sur le papier. C’est d’ailleurs un art très pratiqué dans le bouddhisme zen, discipline où l’un des enseignements essentiel est que toute forme d’existence est « mu-ga », c’est-à-dire « sans ego ». Quand vous laissez tomber votre ego, vous êtes capable d’entrer en communion avec le monde qui vous entoure et vous vous laissez pénétrer de son essence. Vous percevez alors les couleurs, les sons, les odeurs, les images comme lorsque vous étiez encore dans la petite enfance. Rappelez-vous comme c’était merveilleux ! Et il est tout à fait merveilleux ce livre également et lorsque je l’ouvre, j’accède à un monde magique, un monde de sensations infinies, un monde qui me rend heureuse et me montre qu’il existe de telles beautés sur la terre et dans l’espace que la plupart des humains ne voient jamais, ne perçoivent jamais, pris dans leur course quotidienne pour la survie et la recherche de plaisirs vulgaires.

La première partie du volume est rédigée par Pascale Senk, rédactrice en chef du magazine « Psychologies » et auteur. Elle comporte de très beaux chapitres qui traitent de thèmes comme vivre dans la simplicité, accepter l’impermanence, se détacher, s’incliner devant la nature. La deuxième partie rédigée par Vincent Brochard est tout simplement sublime. Monsieur Brochard retrace l’origine et l’histoire du haïku, nous entretient de l’art des grands maîtres, analyse et explique la signification de plusieurs haïkus célèbres. Il nous explique aussi la philosophie et le mode de vie de haijins illustres comme Bashô et Shiki. Suit un poème en prose de quelques pages de Bashô intitulé "L'ermitage de l'irréelle demeure" que j'ai trouvé admirable, un florilège de haïkus et une biographie de Bashô, d’Issa et de Shiki. Un glossaire et une bibliographie complètent l’œuvre.

Ce livre est une porte ouverte sur le bonheur. Je suis ravie de ma lecture et j’en redemande. Le monde du haïku est de toute beauté, si subtile et étrange. L’aborder me donne des frissons d’extase et de joie profondes. C’est comme ouvrir une porte sur l’infini, le sacré, le sublime, un monde de lumière et d’émotions pures. Je plains sincèrement les humains qui ne le découvriront jamais.

« À force de lecture, puis d’écriture de haïkus, l’esprit apprend sans doute progressivement à se taire. À laisser vivre ce qui l’entoure, tout simplement, êtres, nature, objets… Peu à peu, le lecteur découvre le plaisir pur d’une promenade tranquille dans les faits bruts du réel, soudain débarrassé du parasitage des commentaires intérieurs constants. »

« De la déchirure/ des nuages le vestige/ vent d’automne » Shiki

« Suivre les nuages, c’est faire de l’impermanence sa demeure. Les nuages ne cessent de se métamorphoser, leur existence intangible est éphémère, ils sont voués à disparaître. Mais quand on s’est délié de toute visée particulière et que l’on est parfaitement absorbé dans le vide de leur flux, quand on s’est abstrait du « moi » pour s’unir à la vacuité de leur dérive, il n’y a plus de point de départ ni de point d’arrivée, plus d’avant ni d’après. On est dans le présent. Dans le vide on a rejoint l’instant. »

« Nuit piquée d’étoiles/ pas une qui ne fasse la grâce/ de s’envoler » Shiki

Et moi, je m’envole…