Histoire du capitalisme de 1500 à 2000
de Michel Beaud

critiqué par Bolcho, le 16 février 2010
(Bruxelles - 76 ans)


La note:  étoiles
A l'aube d'un "basculement du monde"
Je renonce évidemment à vous décrire ce bouquin déjà célèbre et d'une exceptionnelle densité. L'auteur l'a écrit en 1979-1980 et est encore intervenu dessus, lors des dernières éditions, en 1999.

Peut-être serait-il utile de citer ce paragraphe qui décrit l'esprit même de la démarche :
« Il m'a été enseigné que le capitalisme était un système économique. J'ai assez vite compris qu'on ne pouvait le réduire à sa seule dimension économique et qu'il fallait prendre en compte les dimensions sociale, idéologique, politique et éthique ».

On le voit, pas question ici de considérer que le capitalisme serait la simple extension, à l'échelle de la société, de ce qui ferait notre « nature humaine »... Le capitalisme n'a pas toujours existé et n'existera pas toujours.

On y voit le capitalisme s'installer peu à peu, notamment grâce à l'or des Amériques, les bourgeoisies se mettre en place, les paysans perdre la terre et devoir se mettre au service de la nouvelle classe dominante, puis les tensions entre pays dominants (Angleterre et France surtout), les différentes manières d'y gérer l'apparition de la bourgeoisie comme force politique (quand vaut-il mieux couper la tête de son roi, par exemple...), la révolution industrielle, etc.

Beaud ne passe pas sous silence les formidables leviers que le capitalisme a actionné et donc la rapidité des progrès matériels enregistrés. Mais il souligne aussi que le capitalisme produit des inégalités sans cesse. Aujourd'hui encore, l'écart entre riches et pauvres continue à grandir.

Quelques citations pour vous mettre l'eau à la bouche. Elles sont choisies par moi et ne prétendent pas à la neutralité politique... :

Chargé de l'article « Economie politique » de l'Encyclopédie (1755), Rousseau résume brutalement le pacte social que propose le riche au pauvre : « Vous avez besoin de moi car je suis riche et vous êtes pauvre ; faisons donc un accord entre nous ; je permettrai que vous ayez l'honneur de me servir, à condition que vous me donniez le peu qui vous reste pour la peine que je prendrai de vous commander. »
Pour lui, le riche « ne trouve point étrange que le profit soit en raison inverse du travail et qu'un fainéant, dur et voluptueux, s'engraisse de la sueur d'un million de misérables, épuisés de fatigue et de besoin ».

L'abbé Raynal, ami de Diderot, envisage la suppression de l'héritage et va jusqu'à écrire : « Pendez-les, s'il le faut, ces perfides riches et recouvrez votre dignité ! ». On est en 1770. Un abbé comme ça, on peut m'en mettre quelques autres.

Adam Smith était plus coulant avec les riches. Fermant les yeux sur la tragique misère qui l'entoure, il va jusqu'à écrire des pauvres :
« Pour tout ce qui constitue le véritable bonheur, ils ne sont inférieurs en rien à ceux qui paraissent placés au-dessus d'eux. Tous les rangs de la société sont au même niveau, quant au bien-être du corps et à la sérénité de l'âme, et le mendiant qui se chauffe au soleil le long d'une haie possède ordinairement cette paix et cette tranquillité que les rois poursuivent toujours. »
Pourquoi, il y a des rois privés de haies et de soleil ?

Quant au révérend Malthus, il pense que les pauvres ne doivent pas procréer avant d'avoir les moyens de subvenir aux besoins des enfants, sinon, ils violent les lois de la nature. Ce qui l'amène à déclarer qu'il ne faut pas trop faire appel à la bienfaisance privée, car : « Il faut qu'il (le pauvre donc...) sache que les lois de la nature, c'est-à-dire les lois de Dieu, l'ont condamné à vivre péniblement, pour punir de les avoir violées ( ... ). Il paraîtra peut-être bien dur qu'une mère et des enfants qui n'ont rien à se reprocher soient appelés à souffrir de la mauvaise conduite du chef de la famille. Mais c'est encore là une loi immuable de la nature ».
Si c'est la nature qui le veut là aussi...
Mais ce révérend-là m'est moins sympathique que l'abbé plus haut...

Allez, trêve de vieilleries, passons à la fin de cet excellent ouvrage de Beaud où il se projette un peu dans l'avenir, dans le "basculement du monde" :
« Maîtrisant de plus en plus la recherche scientifique et ses applications, les très grandes firmes démultiplient leur capacité de création et de destruction.
Pour la première fois dans l'histoire, les décisions majeures, déterminantes pour les hommes, le vivant, la Terre, sont prises par des firmes dont certaines disposent d'immenses moyens financiers, scientifiques, techniques et industriels. Elles le font en fonction des perspectives de profit dans l'année qui vient ou quelques années prochaines.
Est-il acceptable que des choix qui engagent l'avenir de la terre et des sociétés humaines soient abandonnés à des décideurs à la vision bornée (un marché ou un segment de marché) et myope (les perspectives de profit à plus ou moins court terme) ? »

C'est pas une bonne question, ça ?