Le dernier empereur : Charles d'Autriche (1887-1922)
de Jean Sévillia

critiqué par Saule, le 17 février 2010
(Bruxelles - 59 ans)


La note:  étoiles
La fin d'un empire.
Nous avons tous lu "La marche de Radetsky" et nous avons tous vu la belle Romy Scheider dans "Sissi impératrice". Ceux qui ont eu la chance d'aller à Vienne auront vu avec nostalgie les relents de l'empire. Alors, si vous voulez en savoir plus sur le grand empire des Habsbourgs, il faut lire cette biographie du dernier empereur de l'empire qui aura régné seulement deux ans, de 1916 à 1918. Cet empire est fascinant, car il recouvrait une mosaïque de pays et de langues, en ce sens il préfigurait la grande Europe qui se met en place maintenant.

Pour faire court : il y avait François-Joseph, le grand empereur, celui qui apparait comme un personnage crépusculaire dans le fameux roman de Joseph Roth "La marche de Radetszky". C'était aussi l'époux de Sissi. L'homme avait 68 ans de règne derrière lui. Son successeur de premier rang était François-Ferdinand, le neveu de l'empereur ("Franz Ferdinand", vous connaissez ? Ce groupe aurait choisi son nom en l'honneur de l'archiduc) : or François-Ferdinand est assassiné par des nationalistes Serbes en 1914 (cet attentat déclenchera la grande guerre). C'est donc Charles, le neveu de François-Ferdinand, et le petit-neveu de François-Joseph qui devient empereur de la double monarchie : il devient Charles Ier en Autriche et Charles IV en Hongrie. Il n'est âgé que de 29 ans.

Son règne est difficile : c'est la guerre et les nationalismes sont exacerbés dans tous les coins de l'empire. Il faut savoir que l'empire Austro-Hongrois couvrait 13 états actuels (en tout ou en partie) : Hongrie, Autriche, Tchéquie, Slovaquie, Italie, Pologne, Roumanie, l'Ukraine, et quelques pays des Balkans). Charles œuvre pour la paix, mais l'Autriche-Hongrie n'est plus prise au sérieux par grand monde : la double monarchie semble un jouet manipulé par Guillaume II et l'allié Allemand. Les alliés, et les français en particulier, lui mettront des bâtons dans les roues. C'est un peu cynique, mais on a l'impression que la géopolitique n'est qu'un jeu de sales gamins imbus d'eux-mêmes. Et c'est toujours le peuple qui trinque. Pourtant, l'empereur avait un véritable programme social, nous dit-on dans le livre, et visiblement c'était un "brave type". A la fin de la guerre, il est destitué et exilé en Suisse : il fera deux tentatives courageuses (mais naïves et mal préparées) pour reprendre le trône en Hongrie. Il sera finalement exilé plus loin, à Madère, où il mourra assez vite. L'empire est démantelé : l'Autriche reste seule comme un petit état sans importance, de ces cendres naissent la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, la Hongrie perd beaucoup de territoires. Le vœu d'indépendance de l'Autriche vis-vis de l'Allemagne sera quand même respecté.

Charles a été déclaré bienheureux en 2004 par le pape Jean-Paul II. Il faut savoir que le père de Jean-Paul II avait servi comme officier polonais pour l'empire et avait été décoré. Le livre insiste sur l'aspect chrétien du dernier empereur, son fervent catholicisme, à tel point que parfois on a l'impression de lire une hagiographie. Il n'en reste pas moins que la vie de cet empereur courageux est très triste, et ne laisse pas indifférent. L'auteur mentionne la polémique qu'a suscitée cette béatification, certains historiens considèrent en effet Charles comme un simplet, mais ceci n'enlève rien à l'intérêt historique du livre. De toute façon, l'histoire est toujours écrite par les vainqueurs, et on lui fait souvent dire ce qu'on veut...

Je lis dans le livre que Charles, en visite en Angleterre avant d'être empereur, s'était arrêté à Ostende pour saluer le roi des Belges, sur les recommandations de François-Joseph. Grâce à wikipédia, j'ai démêlé un peu l'écheveau des alliances royales par mariages entre les Habsbourgs et les autres, et c'est très compliqué. Pour la petite histoire, sachez que le fils de François-Joseph, Rodolph, était marié à Stéphanie de Belgique. Mais peut-être existe-t-il d'autres liens qui m'ont échappé ?
En ce 21 octobre, bonne fête aux Charles ! 9 étoiles

Quand Jean-Paul II a béatifié Charles d’Autriche en octobre 2004, son but était de proposer un modèle à « tous ceux qui assument aujourd’hui une responsabilité politique en Europe » et, au vu de cette biographie réalisée par Jean Sévillia, le Pape ne pouvait mieux choisir.

Cependant dès la béatification du dernier Empereur, l’opposition, tant au Pape qu’aux Habsbourg, s’est immédiatement manifestée, surtout en France, nous dit Jean Sévillia.
Pour se documenter sur le dernier Empereur, les journalistes du Monde et du Figaro ont fait appel à l’historienne Allemande Brigitte Hamman, présentée comme « la » spécialiste des Habsbourg mais, résolument hostile à la dynastie comme au Vatican.
Il s’en est suivi une charge aussi violente que caricaturale pour ne pas dire ridicule. La presse française titrait : « Une décision grotesque du Vatican… Ou : « béatification d’un despote débile et perpétuellement sous la coupe de ses confesseurs… » et d’ironiser gaillardement : « le Pape s’est choisi un saint patron des perdants… »

Quand un historien sert une cause, même à posteriori, il est parfois savoureux quand ses écrits prennent l’allure de pamphlets mais ses propos sont sans intérêt sur le plan de l’Histoire.

Charles était un homme remarquablement intelligent, un diplomate visionnaire et un pacifiste convaincu. L’auteur a recherché, pendant de longues années nous dit-il, dans les archives des pays belligérants, toutes les démarches que Charles avait faites pour arrêter les conflits. Et c’est très intéressant de constater, au vu de ces documents, la duplicité pour ne pas dire la malhonnêteté foncière des acteurs de la guerre et particulièrement des Autrichiens pourtant tenus par leur serment de fidélité à l’Empereur.
Si on avait écouté Charles, la France et l’Allemagne s’en seraient beaucoup mieux tirées et des millions de vies auraient été épargnées.

Par contre, le vieil Empire d’Autriche Hongrie vacillait déjà sous la poussée des nationalismes et sa fin semblait programmée. L’auteur nous montre bien que Charles en était conscient et qu’il voulait organiser ce démantèlement en créant des États indépendants mais réunis dans une même confédération.
Charles, à en croire Jean Sévillia, était intelligent et même par moment visionnaire : il avait prévu l’absorption de l’Autriche par l’Allemagne. Il avait aussi prédit que le démantèlement de son Empire dans le désordre allait livrer ses peuples à la dictature allemande ou russe. L’Histoire lui a donné doublement raison…

« Le Monarque porte la responsabilité des événements devant l’Histoire » disait le vieil Empereur François-Joseph. Si l’on juge la politique d’un chef d’État à ses résultats, il est exact que l’action de Charles a été une succession de déboires et d’insuccès. Mais sa biographie nous montre bien que le verdict de l’Histoire doit tenir compte des circonstances de son règne qui étaient à la démesure de ces temps de fer et de feu.

Cette biographie est loin d’être une hagiographie. Personnellement, je l’ai trouvée objective, réaliste et extrêmement bien documentée. Elle m’a convaincu, si besoin était, que la béatification du dernier Empereur était parfaitement méritée ; et sa lecture est venue bien à propos puisque c’est en ce 21 octobre que notre calendrier des saints se propose de célébrer le bienheureux Charles.

Alors, paix à la mémoire du grand Empereur et bonne fête aux Charles !

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 21 octobre 2010