Lire un classique de temps en temps ça fait du bien. Mais il faut bien tomber, certains sont barbants, d’autres sont bons et d’autres sont très bons.
Celui-ci est à classer parmi les très bons, même si j’ai trouvé que le sujet abordé était un peu daté. Il est inspiré de faits réels : trois prêtres se sont laissés envoûter par un mage, un charlatant ou un escroc, on ne sait pas au juste. Toujours est-il que, malgré leur piété et leur ardeur religieuse, ils ont été bannis des ordres religieux. C’est le contenu du livre ; mais l’auteur s’est plus attardé sur le côté historique que sur l’aspect religieux ; leur hérésie est mal définie et c’est un peu dommage. Mais on doit réaliser qu’il n’est pas possible de tout développer dans une seule œuvre de ce genre : le côté biographie, histoire, théologie… L’auteur, finalement a fait les bons choix qui permettent un très grand moment de lecture.

Le style est excellent, bien entendu, c’est un classique et rien que pour ça il vaut la peine d’être lu. Pourtant, il m’a semblé que, par moment, le style était un peu ampoulé ; ce n’est pas le style fleuri et aérien qui donne l’envie de le lire tout haut. Mais, dans son genre, l’écriture de Maurice Barrès reste quand même du grand art.

Ce qui m’a le plus épaté dans ce livre ce sont les descriptions des mœurs et coutumes des paysans lorrains de cette époque. Ça se passe sous le Second Empire et les événements historiques sont évoqués. Dans un chapitre on voit passer à travers la Lorraine les Prussiens vainqueurs de 1870 ; c’est l’Histoire qui sort des livres et envahit les villages, c’est prodigieux. Partout ailleurs il y a les descriptions des paysages et de la fameuse colline inspirée. Ces lieux ne sont pas embellis comme ils le seraient pour des dépliants touristiques et c’est formidablement bien décrit.

Ce qui m’a paru aussi très intéressant, c’est le début du livre : l’auteur donne quelques lieux qui incitent au recueillement et à la méditation : « Il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toutes éternités pour être le siège de l’émotion religieuse ( … ) Ce sont les temples du plein air. Ici nous éprouvons soudain le besoin de briser de chétives entraves pour nous épanouir à plus de lumière. Une émotion nous soulève ; notre énergie se déploie toute, et sur deux ailes de prières et de poésie s’élance de grandes affirmations. »

L’auteur cite une série de lieux qu’il juge « inspirés » mais la liste n’est pas exhaustive, évidemment, et ce serait amusant d’en compléter le répertoire – même si chacun a, je pense, son lieu privilégié où il aime se recueillir et méditer.
Finalement ce livre est un très beau livre, édifiant, bien écrit, bien construit. Des classiques comme ça on en redemande.

Sur la colline de Sion-Vaudémont, haut lieu spirituel de la Lorraine, déjà occupé par l'esprit des Dieux païens, les trois frères Baillard, Joseph en tête vont batailler contre la hiérarchie ecclésiastique pour faire revivre les pèlerinages consacrée à la Vierge.
De nature rebelle, Joseph va s'opposer à la doctrine officielle de Rome relayée par l'évêque du Diocèse et bientôt va s'attacher au dogme et à la personne de Vintras, sorte de gourou schismatique. Dès lors, coupé de ses ouailles, interdit officiellement par l'Eglise, Joseph va perdre pied peu à peu tout en gardant le secret espoir de reconquérir sa fortune et sa renommée dans le pays de Sion.
Maurice Barrès fait dans ce roman tiré de faits réels, la démonstration de son talent stylistique. Véritable prouesse de prose, la colline inspirée est un manifeste du classicisme français: tournures de phrases, vocabulaire choisi, simplicité dans l'expression mais aussi recherche dans la construction du texte et son ordonnancement général, ce roman se lit avant tout comme une ode à une langue riche et qui représente l'aboutissement du raffinement littéraire.
Maintenant, Barrès trouve dans l'élaboration de ce récit la matière à célébrer les choses du mystère. Loin de fustiger les frères Baillard qui peuvent apparaître comme de méchants charlatans, on découvre au contraire un Joseph tellement fidèle à ses idées, même dans la pauvreté financière et sociale, qu'il ne peut ici s'agir que de sincérité. Jusqu'à son heure dernière ou il reviendra dans le giron de l'église, Joseph restera fidèle aux préceptes vintrasiens et continuera à prêcher aux peu nombreux membres de sa communauté. Malgré les renoncements, les trahisons, les défections, notamment de Thérèse dont le lecteur devine qu'elle était devenue sa compagne, Joseph gardera le cap et ce n'est qu'après que le père Aubry, "oblat" envoyé par Nancy 35 ans auparavant, ait reconnu sa propre faute, que le dernier des Baillard renoncera.
Beau roman, qui vaut avant tout par la qualité du style de son auteur, la colline inspirée est un peu daté, car on traite ici de choses dont les temps présents ignorent. Il demeure que cette œuvre traite du fondamental: la relation de tout à chacun avec les mystères cachés, l'indicible, et que chacun doit faire un choix entre la prairie ou la chapelle comme conclut Barrès dans son épilogue.

Je ne suis pas un chaud partisan de Maurice Barrès, certains éléments du personnage (ses idées politiques, notamment) n'étant franchement pas du tout du genre à me le rendre sympathique, et si ça n'avait tenu qu'à ça, je n'aurais jamais lu ce roman. Ca aurait été sacrément dommage, au passage, car "La Colline Inspirée" est un grand roman, Marguerite Yourcenar avait raison de le clamer haut et fort. Un roman qui relate l'histoire vraie (romancée, ici, mais pas - trop - fictionnalisée) de trois frères (dans les deux sens du terme : des religieux du même ordre, et des frangins) qui décident de faire revivre, sur la colline de Sion (Meurthe-et-Moselle), un ancien lieu de pèlerinage dédié à la Vierge Marie. Leur tentative est couronnée de succès, les gens affluent en masse, les frères Baillard s'enrichissent, font des jaloux, inquiètent les hautes instances religieuses. Un jour, un homme étrange se faisant passer pour la réincarnation du prophète Elie, Vintras, fait leur connaissance et s'associe à eux. Excommunié, il va transformer ce lieu de pèlerinage revampé en temple de sa secte...

Un roman sublime, envoûtant, que dire de plus ?