Berlin, tome 2 : Ville de fumée de Jason Lutes
( City of smoke)
Catégorie(s) : Bande dessinée => Adultes
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Le pire reste à venir
Les événements du premier mai 1929, où la police du gouvernement social-démocrate a tiré sur la foule de manifestants communistes a laissé des traces dans la population, plus scindée que jamais au début de ce second tome de l’œuvre graphique de Lutes. L’auteur continue de nous parler de la grande histoire en nous la ramenant à taille humaine, pour la rendre plus proche, plus accessible, et surtout pour permettre de l’aborder par différents angles. A ce titre, comme Berlin Alexanderplatz qu’il rappelle souvent, le Berlin de Lutes est avant tout une œuvre sociale donnant la part belle aux différents groupes qui composent la société allemande de l’époque, et surtout à la ville où ils se rencontrent, s’aiment et, de plus en plus violemment, s’affrontent.
Conséquemment, la place laissée à Kurt Severing et Marthe Müller est réduite dans ce second tome : ils ne sont plus que deux personnages parmi la multitude de ceux qui se croisent dans les rues grises de cette ville qui brûle de mille passions contradictoires. Autour d’eux, nazis et communistes n’en finissent plus de s’affronter jusqu’aux élections finales et leur cruel résultat : les rouges héritent de trente-trois sièges ; les nazis en ont cent cinq. Et les médias de s’interroger si c’en est fini de la république de Weimar.
Le lecteur connaît bien sûr la réponse et sait d’ores et déjà que le pire est à venir. Mais avant lui, Lutes nous fait vivre cette escalade inéluctable, dont la crise de la fin de l’année 1929 accentue encore les effets. L’espoir cède le pas à la désillusion, y compris chez les rouges qui délaissent peu à peu les idéaux marxistes pour s’organiser en bandes semi-délinquantes vivant de petits larcins et de bagarres avec les bruns. Même dans les ghettos ouvriers, les tracts de la propagande nazie commencent à se répandre de plus en plus librement, favorisés dans leur progression par l’antisémitisme et le racisme ambiants et toujours plus palpables. A ce titre, un des passages les plus marquants de ce second tome se trouve dans les premières pages, lorsqu’un groupe de jazzmen afro-américains débarquent à Berlin pour une tournée qui s’éternisera et contemplent l’affiche promotionnelle qui les représente en utilisant ces images honteuses et humiliantes du type du « bon nègre hilare », chères à Banania ou à Tintin au Congo.
A travers les clubs de jazz, les orgies des classes dirigeantes épargnées par la crise, les prostituées et les clubs lesbiens underground, c’est toute la vie nocturne qui fait son entrée en fanfare dans ce second tome, comme pour nous rappeler que ces sombres années de Weimar coïncident aussi avec les années folles qui firent swinguer l’Europe et l’Amérique. Pendant qu’une certaine classe s’efforçait ainsi de demeurer insouciante, d’autres, loin des opiacés, des corps et des cuivres observaient leur monde tomber de jour en jour un peu plus en déliquescence, jusqu’à ce que la solution s’impose d’elle-même et qu’un seul homme soit perçu par tous comme capable d’y remettre de l’ordre. Lutes nous plonge magnifiquement dans la frénésie, la passion et l’ivresse de ce Berlin tourbillonnant, et nous annonce déjà que la gueule de bois sera dure pour l’Allemagne, pour l’Europe, et pour le monde.
Les éditions
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Ville de fumée [Texte imprimé] Jason Lutes
de Lutes, Jason (Scénariste)
Delcourt / Outsider (Paris. 2008)
ISBN : 9782756017150 ; 19,99 € ; 07/10/2009 ; 213 p. ; Broché
Les livres liés
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- Berlin, tome 3 : Ville de lumière
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Berlin, une capitale déchirée
Critique de Vince92 (Zürich, Inscrit le 20 octobre 2008, 47 ans) - 22 mai 2020
A Berlin, la scène politique est encore dominée par l'extrême-gauche, les communistes perpétuent le souvenir de Rosa Luxembourg et font le coup de poing avec les membres du parti nazi qui parviennent à prendre de plus en plus d'importance au fur et à mesure que la misère dans les quartiers populeux de la capitale allemande.
Paradoxalement, les classes nanties profitent de cette situation en sombrant dans la débauche: dansons sur le volcan semble être la devise des capitaines d'industrie et d'une élite artistique qui profitent de l'atmosphère créatrice de l'époque et des influences d'une Amérique qui fascine déjà cette Europe vieillissante.
Ce second tome est dans la droite lignée du premier, une excellence graphique et un scénario qui révèle à mon sens l'atmosphère particulière du Berlin entre-guerre. Il est dommage que le lecteur ait dû attendre près de dix ans pour avoir une conclusion à ce roman graphique étonnant et passionnant.
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