L'horizon
de Patrick Modiano

critiqué par Guermantes, le 25 mars 2010
(Bruxelles - 77 ans)


La note:  étoiles
Toujours sous le charme
Chez Patrick Modiano, la minceur de l’intrigue est souvent inversement proportionnelle à l’émotion que le livre soulève. Ainsi en est-il de son dernier roman, « l’horizon ». Au début de celui-ci, le personnage principal, Jean Bosmans, se remémore « des bribes de son passé », « des épisodes sans suite, coupés net, des visages sans nom, des rencontres fugitives » dont il dresse une liste dans un cahier de moleskine noire. Peu à peu émerge le nom étrange de Mérovée, puis son visage et ceux des autres membres de la « Bande joyeuse » qu’il a brièvement côtoyés voici quarante ans. Parmi ceux-ci se détache l’image de Margaret Le Coz avec laquelle Bosmans a entretenu une liaison de quelques mois avant qu’elle ne disparaisse subitement, se réfugiant à Berlin, sa ville natale, pour fuir on ne sait quelle menace.
Ni Bosmans ni Margaret n’ont de statut social bien précis (l’un est vendeur dans une librairie spécialisées dans les sciences occultes, l’autre secrétaire intérimaire puis gouvernante d’enfants) mais ils ont en commun un même sentiment d’angoisse : elle se sent harcelée par un certain Boyaval qu’elle craint de rencontrer à tout moment, lui redoute de voir resurgir sa mère qui viendrait à nouveau lui soutirer de l’argent accompagnée d’un homme brun, « l’air d’un prêtre défroqué » « avec une cambrure de torero ». Tous deux semblent lestés d’un lourd sentiment de culpabilité dont l’origine leur échappe.
Au gré des pérégrinations de Bosmans dans Paris, certaines anecdotes se précisent, des visages se font moins flous. Souvent il a l’impression qu’il suffirait qu’il se rende à telle adresse, qu’il forme tel numéro de téléphone pour que le passé reprenne subitement vie. « Il avait imaginé qu’il pourrait retrouver au fond de certains quartiers des personnes qu’il avait rencontrées dans sa jeunesse, avec leur âge et leur allure d’autrefois. Ils y menaient une vie parallèle, à l’abri du temps ». Nous comprenons ainsi que pour Bosmans le temps linéaire n’existe pas : passé et présent coexistent sans se contredire. Quant à l’avenir, peut-être était-il contenu dans les notes qu’il jetait de son écriture serrée dans son cahier de moleskine accumulant ainsi la matière du roman qu’il était en train d’écrire. En corrigeant les pages dactylographiées de celui-ci, « il lui semblait atteindre un carrefour de sa vie, ou plutôt une lisière d’où il pourrait s’élancer vers l’avenir. Pour la première fois, il avait dans la tête le mot : avenir, et un autre mot :l’horizon. Ces soirs-là, les rues désertes et silencieuses du quartier étaient des lignes de fuite, qui débouchaient toutes sur l’avenir et l’HORIZON ».
Aujourd’hui, Bosmans a écrit plus d’une vingtaine de livres mais il continue d’arpenter Paris à la recherche des ombres du passé. Si le hasard jette sur sa route l’une de ces ombres, la conversation tourne court et il n’en tire rien de nouveau ou alors il n’ose aborder la personne surgie d’un lointain autrefois. « Je n’ai pas assez de courage. Je préfère que les choses restent dans le vague » se dit-il.
Dans ce dernier roman, Modiano nous enchante comme il a toujours su le faire, nous plongeant dans des zones noires où l’exactitude de la topographie (voir la précision de ses itinéraires à travers Paris, Annecy ou Lausanne) ne fait qu’accentuer l’impression de flou, d’incertitude qui se dégage des faits et gestes des protagonistes. Il nous renvoie ainsi, en fin de compte, à nos propres doutes. Du grand art.
blessures 10 étoiles

Nous, bien sûr, nous n'avons pas « cette assurance inaltérable et ce sentiment de légitimité que j'avais remarquées chez les personnes bien nées », dont parle Patrick Modiano dans "L'horizon".
Nous aimerions, comme le héros de ce livre, remarquer que « pour la première fois, [nous avons] dans la tête le mot : avenir, et un autre mot : l'horizon ». En est-il ainsi pour nos jeunes ? J'en doute fort. Même les étudiants n'ont qu'une liberté relative : maintenant pour s'inscrire dans certaines licences, si on vient d'un BTS, c'est parfois impossible. Il suffit d'être issu d'un milieu humble, de ne bénéficier d'aucun appui, (« Ils n'avaient décidément ni l'un ni l'autre aucune assise dans la vie. Aucune famille. Aucun recours. Des gens de rien. Parfois, cela lui donnait un léger sentiment de vertige », toujours dans "L'horizon"), de ne pas savoir maîtriser le langage des profs (ceux qui font les entretiens, j'ai vu un peu ce que ça donnait quand j'étais membre de jury de concours, cette morgue souveraine, la même qu'on voit chez nos ministres), pour que le couperet tombe : « non récupérable ! », comme le héros de Sartre. Modiano nous dit aussi : « Il essayait vainement de se rappeler dans quel livre était écrit que chaque première rencontre est une blessure. » Oui, il est des blessures qui ne cicatrisent jamais. Je ne souhaite à personne d'être blessé, même par une parole malheureuse.

Cyclo - Bordeaux - 78 ans - 1 janvier 2015


Le charme mystérieux d'une intrigue à trous 9 étoiles

La mémoire, ses défauts et le passé visiblement sulfureux d'une inconnu que le narrateur découvre constituent les ingrédients de cet opus de 2010 de Patrick Modiano. Ces ingrédients s'avèrent fort classique, et forgent, comme souvent, une intrigue narrative construite sous les yeux de la lectrice et du lecteur, à la façon d'un puzzle. Il ne fait pas bon tout savoir, tant les choses peuvent s'envenimer au moindre moment, de manière plus ou moins violente ou fatale. Il est donc bien plus prudent et confortable de se laisser glisser dans la brume douce-amère de l'incertitude et du mystère, en voguant, plus ou moins consciemment dans les rues de Paris. L'horizon s'avère donc bien impressionniste, ouvert à moult interprétations.
Je suis apparemment le plus enthousiaste au terme de cette lecture, au sein de notre cénacle. Ce roman est assez moral, autant qu'il est intrigant. La curiosité et ses dangers, la prévenance, sa beauté et ses revers, apparaissent autant de leçons de vie et de prudence. Les détails et halos de mystère ont tous leur importance pour comprendre où et comment se diriger, et où ne pas aller.

Veneziano - Paris - 46 ans - 25 décembre 2013


FRAGILITE ,TOUJOURS... 7 étoiles

Pour ceux qui sont inconditionnels de l’œuvre de Patrick Modiano, ou qui apprécient , à chaque parution de ses romans, la mise en évidence de la fragilité des rapports humains, le caractère aléatoire des souvenirs, leur fragilité élevée au rang d’essence , ils peuvent alors se délecter une nouvelle fois : L’horizon, l’un de ses derniers romans est fidèle à cette veine : retours en arrière fréquents, description de relations à deux ou à quatre révélatrices des méprises, des ambiguïtés contenues dans les rapports humains, pénibilité (ou inévitabilité ?) de l’utilisation à bon escient de la mémoire . A lire si et seulement si vous appréciez les techniques employées dans son œuvre depuis ses débuts. Pour notre part, nous apprécions ce rappel de la fragilité des choses, de l’incertitude des souvenirs, de l’impermanence.

« Il s’était étonné que , parmi les millions d’habitants que comptait une grande ville comme Paris , on puisse tomber sur la même personne à de longs intervalles , et chaque fois dans un endroit très éloigné du précédent . Il avait demandé son avis à un ami qui faisait des calculs de probabilité en consultant les numéros du journal Paris Turf des vingt dernières années , pour jouer aux courses. Non, pas de réponse à cela . Bosmans avait alors pensé que le destin insiste quelquefois. Vous croisez à deux, trois reprises la même personne . Et si vous ne lui adressez pas la parole, alors tant pis pour vous. »

TRIEB - BOULOGNE-BILLANCOURT - 73 ans - 23 mai 2012


Fuite du temps 8 étoiles

C’est l’histoire d’un vieux cahier perdu. Un cahier dans lequel, bien des années plutôt, Jean Bosmans, devenu entretemps écrivain, avait couché ses sentiments sur un amour naissant dans le Paris des années 60. Souvenirs fugaces d’une brève liaison, amicale ou amoureuse, avec Margaret, une jeune femme d’origine allemande, fuyant obstinément un mystérieux personnage pour des raisons toutes aussi mystérieuses. Ne comptez d’ailleurs pas sur Modiano pour vous l’expliquer. L’auteur se concentre, à raison sur l’évocation de ses souvenirs toujours volatiles, comme voilés de brume. Bosmans aussi fuit un couple improbable composé de sa mère et de son compagnon, aux allures de prêtre défroqué, qui n’en loupent pas une pour le racketter. Ces deux personnages ont donc en commun leur absence d’ancrage, un manque de certitude dans leur vie. «Ils n’avaient décidément ni l’un ni l’autre aucune assise dans la vie. Aucune famille. Aucun recours. Des gens de rien.»
L’intrigue est ténue, voire inexistante. On suit les personnages dans leurs pérégrinations parisiennes. Leurs sentiments sont juste esquissés pas dessinés, c’est la touche Modiano, tout en sensibilité. Certes, de ses romans ne reste également bien souvent qu'un souvenir fugace. Tout juste se souvient-on que l’on était bien au fil de ces pages. Et l’envie irrépressible d’y replonger avec délice de temps à autre.

Nothingman - Marche-en- Famenne - 44 ans - 16 janvier 2012


La petite musique de Modiano 8 étoiles

Les critiques précédentes résument bien le sujet du dernier roman de Patrick Modiano. L'intigue est toujours aussi mince et pourtant son style original nous enchante et nous transporte dans son monde noyé dans le brouillard.

Les 170 pages de cet ouvrage se lisent d'une traite et avec plaisir mais on a du mal à se remémorer le fil de ses histoires souvent à peine esquissées.

Un bon moment de lecture...

Tanneguy - Paris - 85 ans - 13 octobre 2010


... le présent est un avenir 7 étoiles

Ouvrir un roman de Modiano, ouvrir un récit de Modiano, c'est faire une incursion dans le passé, assez souvent la période de la seconde guerre mondiale, assez souvent celle des années soixante. Un temps arpenté par des noms et des visages surgis du passé, des lieux hantés par des pas depuis longtemps effacés.
L'horizon est emblématique de l'oeuvre de Modiano, personnages en marge, errant, effrayés, poursuivis par leurs démons intimes. L'horizon est un tournant dans la trame des romans de l'auteur, car y surgit un présent tangible qui a l'aspect de l'avenir.

Vda - - 49 ans - 5 juillet 2010


Des vies dans le brouillard 7 étoiles

Modiano a l'habitude de nous entraîner dans des histoires plutôt courtes et nébuleuses. Pour ces gens là rien n'est jamais simple et il doit en exister.

Je me demande souvent, en lisant un de ses livres, où il trouve son inspiration ? Comment avec aussi peu d'éléments et ne cherchant surtout pas à éclairer son lecteur il arrive à écrire un roman ?

Nous avançons les bras tendus et les mains devant nous comme le personnage figurant sur la couverture de la première édition du "Voyage au bout de la nuit" en édition de Poche.

Qui est Boyaval que fuit Margaret ? Qui sont cette femme et le curé défroqué qui hantent Bosmans ? Plus simple encore, qui sont Margaret et Bosmans ?

Bosmans ira jusqu'à nous dire qu'il ne connait pas son âge !

Et il en ira de même pour tous les personnages secondaires !

Ils vivent sans attaches dans des hôtels dont ils s'enfuient bien vite.

Et Modiano, comme dans la plupart de ses livres, de nous faire circuler dans un nombre incroyable de rues et de boulevards de Paris !

Qu'est ce qui fait que nous le suivons ? Ses très grandes qualités d'écriture, bien sûr, notre envie de savoir malgré tout.

Alors que nous nous doutons que nous ne saurons rien !

Une toute petite confidence par ci par là et encore !...

J'ai suivi et j'ai aimé mais je peux vous jurer que dans un peu plus de 6 mois je serai tout à fait incapable de résumer ce livre, même pas de vous dire qui en étaient les personnages !

J'avoue que ce n'est pas ma littérature favorite même si je ne veux pas la rater. Il faut dire qu'à côté de mes écrivains américains je suis pour le moins un peu dérouté !

Jules - Bruxelles - 80 ans - 7 avril 2010