N'entre pas si vite dans cette nuit noire
de António Lobo Antunes

critiqué par FranBlan, le 28 mars 2010
(Montréal, Québec - 82 ans)


La note:  étoiles
Un immense "poème", au récit sans queue ni tête...
Une vaste saga familiale qui a pour cadre une vieille villa d'Estoril.
Bourgeoisie décadente, rapports troubles entre maîtres et serviteurs, relents de fascisme et nostalgie de l'enfance..., presque sept cents pages de délire littéraire qui regroupe ces thèmes dans un immense "poème"..., au récit sans queue ni tête, mais à la prose tellement belle que j'en ai, plus d'une fois, échappé mon livre!!!
Et sans le synopsis publié en quatrième de couverture, je ne serais jamais parvenue seule à un résumé cohérent de cette histoire.

Dans une vaste demeure vit une riche famille bourgeoise.
Le père, trafiquant d'armes, enfermé dans son bureau ou dans son grenier, la mère soumise et attentive, Ana, la jeune et jolie sœur de la narratrice, Maria Clara, jalouse de cette beauté, admiratrice de son père, la grand-mère, insatiable joueuse, tantôt au casino avec sa dame de compagnie, tantôt aux dominos avec les paysans... Tout un petit monde aux allures de fin de siècle, qui bascule quand le père est malade et abandonne à sa fille chérie les rênes de la maison... ou plus exactement les clefs de son grenier, vivier des secrets familiaux...

Cette chronique mobile d'une enfance enfouie apparaît enfin comme le journal intime de Maria Clara rédigé trente ans plus tard. 
Maria Clara, "Mademoiselle", l'homme de la maison, livre pensées et souvenirs...
La pensée n'est jamais linéaire, le récit prolifère, bifurque, se contredit dans un jeu de conjectures et de surimpressions. La voix de Maria Clara se divise pour emprunter celle de personnages réels et fantasmatiques. L'écriture se morcelle, les mots même se dérobent au profit de l'ellipse, du non-dit affectif et des collisions poétiques.
 
Certes, l'auteur ne facilite guère la bonne volonté de ses lecteurs. Il faut littéralement s'immerger dans ce roman hypnotique sans jamais essayer d'accélérer le rythme de la lecture car on s'y essouffle, littéralement!
Il faut se laisser éblouir par la beauté de la prose:

«... sa boutique était remplie d'horloges qui promettaient des heures plus heureuses, d'alliances bon marché et d'étagères chargées d'objets écaillés dorés ou en cuivre dont raffolent les servantes, entre lesquels une chatte clandestine promenait avec dédain la méticulosité de ses pattes ...»,

et il ne faut surtout pas oublier de s'émerveiller de la qualité de la traduction:
«... les servantes flemmardaient ce pourquoi on les paye ...», existe-t-il un mot portugais qui se traduise littéralement par le terme flemmarder? Permettez-moi d'en douter...
La qualité de cette traduction peu commune, n'a d'égale que celle de l'écriture de l'auteur du texte original, ce qui devrait toujours prévaloir, mais que l'on rencontre trop peu souvent.

Que dire de plus, sinon qu'il m'a été donné de réaliser une "expérience" littéraire tout à fait mémorable, à renouveler..., pas sûre!