L'Invention de la vérité
de Marta Morazzoni

critiqué par Alma, le 5 avril 2010
( - - ans)


La note:  étoiles
L'art de broder
Conçu comme une toile où les fils de chaîne s’entremêlent aux fils de trame, ce court roman traduit de l’italien fait se croiser deux personnages, deux lieux et deux époques . Dans les chapitres impairs apparaît Anne-Elisabeth, une des trois cents brodeuses appelées par la Reine Mathilde à Bayeux pour y broder , au 11e siècle, la célèbre tapisserie racontant la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant ; et dans les chapitres pairs, John Ruskin, le critique d’art anglais venu rendre en 1879 une dernière visite à la cathédrale D’Amiens sur laquelle il publiera l’ouvrage : la Bible d’Amiens .

Le roman est bâti sur tout un système de correspondances entre l’étoffe et la cathédrale . Ruskin y déclare « L’extérieur d’une cathédrale française est comme l’envers d’une étoffe .. …….une cathédrale et un tapis révèlent une élaboration de même nature , une trame identique de supports, de fils ténus et de lourds piliers » .

Ces deux éléments apparaissent aussi comme les métaphores de l’écriture romanesque qui entrelace fiction et vérité , notions qui encadrent l’ouvrage , puisqu’elles sont présentes dans le titre « L’invention de la vérité » et dans la dernière phrase de l’ouvrage, empruntée à Ruskin, sorte d’exergue inversée « On peut imaginer des choses fausses ; mais seule la vérité peut être inventée »

Un roman érudit, subtil, dans une traduction dont la langue classique, élégante, pleine de finesse nous emporte. Si je me suis laissée charmer par les chapitres impairs évoquant l’oeuvre collective des brodeuses sous la direction de la reine, je suis restée plus réservée sur les chapitres pairs consacrés à Ruskin et à son domestique .
La Bible de pierres et la tapisserie de Bayeux 7 étoiles

Le titre du livre, "l'invention de la vérité", est inspiré d'une citation de Ruskin, le critique d'art anglais, esthète et philosophe de la beauté. Il a dit : "On peut imaginer des choses fausses, et composer des choses fausses ; mais seule la vérité peut être inventée". Marta Morazzoni fait donc usage de son privilège de romancière, qui est celui "d'inventer" la vérité, en racontant dans des chapitres alternés, d'une part la création de la tapisserie de Bayeux et d'autre part la dernière visite faite par John Ruskin à Amiens. La tapisserie de Bayeux, qui illustre la victoire de Guillaume le conquérant sur le comte Hastings, est un chef-d'oeuvre anonyme du Moyen-âge. Et la cathédrale d'Amiens est le sommet de l'art Gothique (et peut-être le sommet de l'art tout court).

J'ai apprécié ce court roman (146 pages), autant la partie sur Ruskin que celle sur la tapisserie de Bayeux (que je ne connaissais pas). Un petit regret : l'auteur décrit la ville d'Amiens en hiver, avec ses "eaux troubles" et "son ciel lourd", et ne rend pas justice à la beauté de cette ville si sympathique. Le lecteur intéressé par Ruskin et par Amiens doit absolument se procurer "La Bible d'Amiens", ouvrage de Ruskin traduit et commenté par Proust.

Un petit extrait, assez injuste pour Amiens : "En 1879, Amiens était donc une ville noire de fumée, industrieuse mais désordonnée, dépourvue de charme".

Saule - Bruxelles - 59 ans - 28 décembre 2010