Tchétchénie, An III
de Jonathan Littell

critiqué par Dirlandaise, le 14 avril 2010
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Sous des dehors radieux...
Que se passe-t-il en Tchétchénie aujourd’hui ? C’est à cette question que tente de répondre Jonathan Littell avec ce petit livre très instructif. En 2009, monsieur Littell se rend en Tchétchénie en compagnie du photographe Thomas Dworzak afin de rencontrer le président tchétchène prorusse Ramzan Kadyrov. Les deux hommes sont demeurés deux semaines dans la région mais sans avoir pu s’entretenir une seule fois avec Kadyrov.

Ce livre est un compte rendu de ces deux semaines passées dans la nouvelle Tchétchénie que Ramzan Kadyrov a complètement prise en main avec la protection et l’appui de Vladimir Poutine. En effet, la Russie a décidé de passer les pleins pouvoirs au fils de Adhmad-Khadzhi Kadyrov après l’assassinat de celui-ci. Donc, Kadyrov fils exerce présentement une dictature et règne sur la région en semant la terreur sous des dehors de reconstruction et de prospérité économique. Kadyrov est à la solde de Moscou et il profite de son prestige et de son pouvoir pour s’enrichir honteusement et mener une vie de luxe. Mais l’homme fait aussi beaucoup pour sa région. En effet, il a reconstruit la capitale Grosnyï et une bonne partie des villes voisines, nettoyé les décombres et fait disparaître toutes traces des deux guerres. Il a fait construire des écoles, des hôpitaux, des centres commerciaux modernes et a redonné la liberté religieuse aux islamistes. Il prône également le retour des anciens combattants nationalistes ayant fui le pays en leur promettant des postes intéressants au sein de son administration. Moscou lui a donné carte blanche pour tout refaire le pays et remettre sur pied une économie chancelante et au bord du gouffre. Mais l’administration de Kadyrov repose entièrement sur la seule loyauté de ses collaborateurs. C’est une administration clanique qui repose sur un seul homme. Que cet homme vienne à disparaître et le chaos risque encore une fois de s’installer. La supposée paix est donc très fragile et malgré des dehors radieux, des hommes continuent de disparaître mystérieusement sans laisser de trace. Et pour les femmes, un retour au port du voile obligatoire dans les lieux publics n’augure rien de bon.

Enfin, monsieur Littell analyse avec beaucoup de justesse et de clarté la situation actuelle de la Tchétchénie tant au niveau économique que social. Le livre est très court mais dense et bien documenté. Une lecture extrêmement enrichissante pour qui s’intéresse à cette région du monde où la lutte nationaliste est encore très vivante et refuse de mourir.

« Kadyrov, on ne peut le nier, dispose d’une certaine légitimité sociale ; même si elle est grossièrement exagérée par les autorités, même si l’on ne peut savoir jusqu’à quel point elle dépasse les limites de son clan, son teïp, et même s’il est impossible de la mesurer dans un système politique qui ne connaît ni élections, ni sondages, ni presse libre, et où tout opposant déclaré est menacé, torturé ou tué, elle existe, et Kadyrov fait tout pour la renforcer. Ses efforts se concentrent sur trois secteurs : la reconstruction et le développement économique, le ralliement ou le retour des anciens combattants indépendantistes, et la promotion d’un islam présenté comme « traditionnel ». Son pouvoir, pourrait-on dire, repose sur cinq piliers. Le soutien de Poutine reste le pilier central, celui sur lequel tout l’édifice repose ; le jour où Poutine, pour une raison ou une autre, lâchera Ramzan, celui-ci disparaîtra rapidement. »