Une reconstitution passionnelle : Correspondance 1980-1987
de Silvia Baron Supervielle, Marguerite Yourcenar

critiqué par Jlc, le 14 avril 2010
( - 81 ans)


La note:  étoiles
En guise de souvenir
Sahkti et Fée Carabine vous ont déjà dit ici les qualités de la poétesse argentine Silvia Baron Supervielle qui est aussi une grande traductrice et dont les travaux ont renforcé les liens entre les littératures hispanique et française.
Au début des années quatre vingt elle s’enthousiasme pour quelques poèmes de Marguerite Yourcenar découverts chez un bouquiniste réunis sous le titre « Les charités d’Alcippe ». Elle en entreprend la traduction en espagnol. Quand on sait le soin méticuleux que Yourcenar apportait à la conservation et la diffusion de son œuvre, on comprend qu’une conversation se soit établie entre les deux femmes. Silvia Baron Supervielle traduira ensuite le théâtre de l’auteur des « Mémoires d’Hadrien ».
C’est cette correspondance qui est aujourd’hui publiée « en guise de souvenir ». Marguerite Yourcenar, écrivain solitaire et isolée, considérait le genre épistolaire comme « une forme pleinement littéraire ». Elle a écrit beaucoup de lettres dont certaines ont été publiées mais c’est la première fois que nous avons les réponses de la correspondante.
Et c’est là que réside le charme de ce petit livre. La trentaine de lettres échangées montrent d’abord l’évolution de leur relation qui de professionnelle et très convenue devient presque amicale de la part de Yourcenar et totalement affective de la part de Silvia qui lui dit « La joie de vous connaître est double : vous ressemblez beaucoup à vos livres » ou encore « Avoir le bonheur de vous retrouver égal à celui avec lequel je guette en ce moment la lumière ». Mais n’est-ce pas Borgès, leur ami à toutes deux, qui dit un jour : « Au fond la littérature ce n’est que de l’affection ? » C’est aussi un reportage tant sur la vie à Petite Plaisance en qui Silvia, qui y passera quinze jours, verra surtout un lieu d’exil en fidélité à l’amie Grace morte en 1979 que sur les voyages entrepris à la fin de sa vie. Enfin la complicité entre l’auteur et la traductrice est parfaitement évoquée, notamment quand Marguerite Yourcenar reconnaît que le traducteur de vers peut et doit prendre des libertés avec le sens des mots pour « conserver le chant ».
Loin de toute biographie ou témoignage obligé, c’est un portrait affectif qui est ici esquissé, brossé par petites touches pour garder, au-delà du temps, le regard « lumineux et attentif » de « celle qui demeura jusqu’au bout, à l’écoute du souffle du monde ».
Un très beau cadeau, cet « En guise de souvenir ».
Un adieu 8 étoiles

C’est ainsi que résonnent les derniers mots de la dernière lettre adressée par Marguerite Yourcenar à Silvia Baron Supervielle « Je vous embrasse bien amicalement ». Cet adieu résonne en moi comme étant adressé à nous tous, ses lecteurs.

Et pourtant elle n’est pas prête de nous quitter. Ses mots et ses phrases sont profondément gravées en nous et je suis intimement convaincu qu’il en sera de même pour un bon nombre de futurs lecteurs. Comment ne pas être envoûté par Hadrien, Zénon et bien d’autres personnages créés par elle, ainsi que par ses univers poétiques ?

Que dire de plus après la critique de JLC ? Je me contenterai de quelques citations tirées de l’avant-propos ou des lettres de Silvia Baron Supervielle. Constatant que Yourcenar parlait peu de Dieu elle reprend une de ses phrases : « Un vieux proverbe dit que les absents ont toujours tort : il est irrévérencieux sans doute, il est tentant de se dire que c’est, ici bas, ce qui est arrivé à Dieu. »

« Autant ses personnages qu’elle-même sont habités par ce feu sur lequel souffle une mémoire qui semble effectivement antérieure à la mémoire de l’homme. »

Et enfin : « Depuis que je vous lis, je n’ai cessé d’apprendre. Mais c’est autre chose : les mots sont poussés, ils sont différents sous votre encre, habités autrement, détachés et en même temps enchaînés. Ils sont véritablement vivants : cœur et chair… Chaque phrase est comme une main qui effleure le clavier. Je ne saurais pas le dire. La beauté est mystérieuse. »

Jules - Bruxelles - 80 ans - 19 mai 2010