Le couronnement de l'édifice
de August Strindberg

critiqué par Toinou, le 21 avril 2010
( - 32 ans)


La note:  étoiles
"Luther dit : Cette vie est si misérable que les tourments viennent même de ceux qui nous sont les plus chers."
Strindberg est un génie ! Première lecture, premier enchantement. C’est l’un des derniers textes qu’il a écrit, il le considère comme l’un des meilleurs.
Monologue d’un personnage sur son lit de mort, monologue sur l’amour pour sa femme et son enfant. C’est un texte poignant où Strindberg cherche loin dans la condition humaine.
L’écriture est incroyable.

Le point de vue des éditeurs : « Ce bougon, ce misogyne, cet anxieux de Strindberg fait soudain sonner là toute son inquiétude, sa tendresse impuissante, son désir bafoué d’aimer les femmes. Et c’est porté par une écriture brulante… »
Un texte majeur et inoubliable 10 étoiles

Suite à un malencontreux accident, un homme se retrouve à l’article de la mort, soigné chez lui par une infirmière dévouée. Sous l’effet de la morphine, il délire et s’adresse à un interlocuteur invisible. Il raconte et se laisse aller à une longue confession surtout centrée sur sa vie conjugale et sa relation avec les autres membres de sa famille : il raconte comment le bonheur du début de sa vie de couple va tourner lentement au cauchemar.

Je reconnais bien là tous les thèmes chers à l’écrivain : le bonheur si éphémère, la fourberie des femmes et de la sienne en particulier, l’hypocrisie des autres, leur malveillance et leur méchanceté, la recherche du bonheur toujours vaine, l’absurdité de la vie, les mensonges de la religion et l’inéluctabilité de la mort.

Un texte dur, profond et d’une infinie tristesse. Le pessimisme de Strindberg n’a d’égale que sa désillusion à l’égard de ses proches et de leur supposée amitié. Il traîne avec lui un zeste de paranoïa déjà rencontré dans « Inferno » en la personne de son voisin qui le surveille, tapie derrière sa fenêtre. Ce personnage est bien étrange car on ne connaît jamais sa véritable identité mais il revient régulièrement dans le récit. Strindberg le surnomme « L’œil vert ». Il y a aussi sa femme en qui il avait mis tous ses espoirs et qui finit par se retourner contre lui, influencée par le reste de la famille. L’épouse aimante et douce se transforme peu à peu en une femme capricieuse, méchante, indépendante, avide de sorties et de plaisirs mondains. La séparation devient alors inévitable.

Le délire de l’homme s’accentue et vers la fin, cela devient quasi insoutenable tellement Strindberg se laisse aller à fouiller l’âme humaine avec toutes ses contradictions et sa relative insignifiance. Je ne peux m’empêcher de comparer ce texte avec celui de Tolstoï intitulé « La mort d’Ivan Illitch » et aussi je revois l’admirable film de Bergman « Cris et chuchotements ».

Il est dur Strindberg, très dur surtout avec les autres qui s’acharnent à lui rendre la vie infernale. Il excelle à décrire le bonheur et le malheur qui inévitablement finit par prendre le pas sur le premier. Car tout bonheur quel qu’il soit est aussi éphémère que neige au soleil. Que l’on ne se berce pas d’illusions, la vie n’est qu’une suite de malheurs entrecoupée de courtes éclaircies, de timides rayons de soleil éclairant brièvement la grisaille et la noirceur de l’existence.

Ce qui est frappant chez Strindberg, c’est le contraste justement entre ces instants de bonheur et ces jours remplis de tristesse et de désenchantement. Avec lui, pas de milieu ; le bonheur radieux est toujours suivi du gouffre fétide de l’enfer. Rien ne dure ni ne perdure. Tout n’est qu’illusion et c’est bien là que réside le drame de son existence. Brillant et relevant de la psychanalyse !

« Parfois de nouvelles personnalités semblaient germer en lui, que ce fût des résidus hérités des ancêtres ou des influences de tous ceux auxquels il pensait. Ainsi il pouvait être méchant et virulent, l’instant d’après arrogant et hautain ; puis apparaissaient un vieil homme sage, un enfant, une femme rudimentaire. Son propre moi se dissolvait, et son caractère inné se révélait être un masque derrière lequel il avait joué son rôle, un masque créé par la nécessité de s’adapter aux circonstances de la vie et selon la loi de l’échange maximal de substances spirituelles. Tout ce canevas fait d’éducation, de livres d’école, d’êtres humains, de journaux, s’effilocha, et le peu de chose qu’il avait brodé lui-même fut déchiré et disparut. La dissolution du moi amena la disparition de l’égoïsme, et il commença à se répandre, à s’agripper à ceux qui étaient les plus près, l’infirmière et le médecin, s’intéressant à eux, à leur santé ; son âme avait de véritables mouvements d’amibe : Il lança des pseudopodes pour s’agripper à leurs pensées et à leurs sentiments comme pour se maintenir sur la terre ferme. »

« Le couronnement de l’édifice est parmi ce que j’ai écrit de mieux. » A. Strindberg, 7 avril 1907.

Dirlandaise - Québec - 69 ans - 26 octobre 2011