Monsignor Quichotte
de Graham Greene

critiqué par Saule, le 9 mai 2010
(Bruxelles - 59 ans)


La note:  étoiles
Le prêtre et le communiste
Voila un roman comme je les aime : une histoire rocambolesque et magnifiquement racontée, des personnages savoureux et des dialogues incroyables, qui nous prennent au dépourvu et nous font réfléchir, en formulant des questions qui sont en nous. Je trouve que c'est le genre de livre qui m'améliore, et qui me fait aimer la littérature.

L'histoire est une parodie de Don Quichotte. Le prêtre du petit village de Taboso part à l'aventure à travers l'Espagne, avec son ami le maire communiste et avec Rossinante, la petite voiture du curé. Comme leur ancêtres, ils auront leur lot d'aventures, entrecoupées d'interlude savoureux, tel que des pique-niques agrémenté de vin (la recherche du meilleur vin pour accompagner ces repas est une activité importante, comme toujours Graham Greene s'y entend pour parler du vin et des mérites respectifs des vignobles !).

Il y a des scènes vraiment très drôles, comme lorsque le prêtre explique le concept de la trinité au maire en faisant une analogie avec les trois bouteilles de vin qu'ils viennent de descendre. Et lorsque le maire amène le prêtre dans un bordel, ou lorsque le prêtre assiste par accident à une séance de cinéma et qu'il tombe sur un film porno. En chemin, les deux compagnons discutent des mérites respectifs de leur "livres de chevalerie", ce qui vaut des échanges d'idées savoureux entre le manifeste communiste de Marx, un traité de Saint François de Salle. Et aussi une satire réjouissante d'un traité de théologie morale, qui est parfois plus absurde que les romans de chevalerie de l'ancêtre Don Quichotte (par exemple, lorsqu'il traite de la délicate question du coïtus interruptus). Un épisode qui m'a touché, comme chaque fois qu'on parle de Sainte Thérèse, c'est quand le maire demande à son ami si il a été amoureux, et que celui-ci lui parle de sa dulcinée, la senõra Martin, c'est-à-dire Sainte Thérèse de Lisieux, qui, espère-t-il, prie pour lui puisqu'elle est la patronne des prêtres. Si on rit beaucoup, on n'en est pas moins édifié par les réflexions insolites du prêtre et du maire, par la valeur du doute qui reste présent tout au long d'une vie, que ce soit en matière de religion ou dans le communisme. La fin du livre, même si elle était attendue, m'a tiré quelques larmes.

Lire Graham Greene me procure un réel plaisir, en le lisant j'ai l'impression de voir les scènes et de connaitre ses personnages, c'est à nouveau le cas ici par exemple dans la scène de la procession et des mexicains. En plus, tout en m'amusant, ses livres m'apportent une vraie réflexion sur la religion, sur l'humanité. Voila pourquoi je dis : "Merci Monsieur Greene". Voici l'un ou l'autre dialogues entre les deux compagnons, pour donner une idée du ton de l'ouvrage.

« Vous n'êtes quand même pas stalinien, Sancho ? » «Je ne suis pas stalinien, mais au moins, avec eux, on sait où on est. Ce ne sont pas des jésuites. Ils ne tournent pas avec le vent. S'ils sont cruels, ils le sont aussi avec eux-même. Quand on parvient au terme de la plus longue des routes, il faut bien s'étendre et se reposer un peu -- se reposer des débats, des théories et des modes. On peut se dire "Je ne crois pas mais j'accepte", et on verse dans le silence à la manière des trappistes. Les trappistes sont les staliniens de l'Eglise ». « Dans ce cas Sancho, vous auriez fait un bon trappiste ». « Peut-être, quoique je n'aime pas beaucoup me lever tôt le matin ».

« Tandis qu'à présent votre croyance est totale, n'est-ce-pas ? Votre croyance dans le prophète Marx. Vous n'avez plus besoin de penser par vous-même. Isaïe a parlé. Vous êtes entre les mains de l'histoire future. Comme vous devez être heureux dans l'absolu de votre conviction. Une seule chose vous manquera jamais : la dignité du désespoir ». « Ma croyance est-elle totale ? » fit Sancho. « Parfois je m'interroge. [...] Il existe une voix sourde, la voix de l'incertitude, qui chuchote à l'oreille du croyant. Qui sait ? Sans cette incertitude, comment pourrions-nous vivre ? ».
Un drôle de pèlerinage 8 étoiles

Le Père Quichotte, promu évêque par un caprice du destin, va partir « à l'aventure » avec le maire communiste de son village , perdant des dernières élections.
Ce voyage va être l'occasion de nombreuses et hilarantes péripéties mais aussi de beaux débats d'idées entre un croyant et un communiste. Chacun, tout en restant attaché à sa « bible » va évoluer, comprendre mais surtout se mettre à douter.

Va s'établir une belle amitié: « Pourquoi la haine d'un homme – même d'un homme tel que Franco- meurt-elle avec lui, tandis que l'amour, l'amour qu'il avait commencé d'éprouver pour le Père Quichotte, semblait à présent vivre et grandir en dépit de la séparation..... »

Une beau conte philosophique bien loin des romans policiers que je connaissais de cet écrivain qui m'a donc beaucoup surpris.

Marvic - Normandie - 66 ans - 15 juin 2010