Suspects
de Hélène Desjardins

critiqué par Clo7, le 15 mars 2002
(Charleroi - 24 ans)


La note:  étoiles
Noir de noir
« Je l’ai trouvé mort en rentrant. Je n'ai pas allumé la lumière tout de suite, j'avais les bras chargés de paquets. J’ai failli trébucher sur une de ses jambes. C'est comme ça que je l'ai découvert. Lui, c’était mon amant. Ni plus ni moins. Mais je ne comprenais pas. Il n'aurait pas dû être chez moi si tôt dans la soirée. Je m'étais toujours montrée très claire à ce sujet. Mais bon, il est mort. On ne va pas s’éterniser là-dessus. » Le ton est donné. Suspects est le premier roman de l’auteure québécoise Hélène DESJARDINS, un premier roman noir à souhait à la structure assez complexe, ce qui est assez rare pour une novice. La découverte du cadavre de l'amant d'une jeune danseuse de bar sert de catalyseur au dévoilement des secrets d'alcôve d'une communauté fertile en passions inavouables : éric, Rita, Charlotte, Georges, Mariette... chacun a sa version des faits... et le mensonge règne en maître tout comme la naïveté. Qui dit vrai ? Qui ment ? L'intrigue est menée avec énergie et est imprégnée de cynisme. C’est le genre de livre qu'on lit d’une seule traite.
A noter que dès sa sortie, la maison Ciné-Action a acheté les droits d’adaptation cinématographique du roman.
La Travailleuse du sexe 8 étoiles

Depuis un lustre, il n'est pas rare qu'un romancier québécois prête sa plume à une étudiante de l'université qui se prostitue (Nelly Arcan) ou à une stip-teaseuse venant du même milieu (Pauline Gélinas). Il faut croire que c'est le passage obligatoire pour que le sujet trouve ses lettres de noblesse. Hélène Desjardins trace elle aussi le portrait de l'une de ces travailleuses du sexe, qui, contrairement à ses consoeurs, n'est pas liée au monde de la connaissance. Rita, l'héroïne du roman, trouve son amant mort en revenant chez elle. Elle n'en fait pas un plat. «On ne va pas s'éterniser là-dessus», dira-t-elle.
L'auteure présente une jeune femme à l'état brut pour éviter le piège du vernis statutaire qui la rendrait plus intéressante. Non, c'est la femme en elle que l'auteure recherche. Pour la comprendre, elle se doit de défricher ses origines familiales. Née d'une mère qui la rejette et d'un père alcoolique qui a abusée d'elle, elle était ainsi programmée pour chercher des yeux admiratifs en se propulsant sur les petites scènes des bars du centre-ville de Montréal. Roman en flash-back, des narrateurs multiples viennent donner la version des faits. Le père de Rita reconnaît ses torts, la mère maintient sa ligne de conduite d'autant plus que sa fille est devenue une strip-teaseuse. Mais ses ascendants sont-ils suffisants pour en faire une meurtrière?
Native d'un petit village, elle a dû le fuir pour échapper au mépris afférent aux circonstances de sa vie. Le manque d'anonymat de la promiscuité engendre souvent des passions qui mènent au crime. C'est de se côté qu'il faut chercher les suspects potentiels à qui l'auteure donne la parole pour se défendre d'avoir tué Jeff, l'amant de Rita qu'elle a choisi uniquement dans le but de satisfaire sa libido. On comprend que son terreau n'est pas propice à l'épanouissement de l'amour. Aux yeux des deux policiers chargés de l'enquête, Rita demeure le suspect numéro un. Mais quand l'un d'eux ressent de l'empathie pour l'accusée, il abandonne la stratégie prévue pour suivre les pistes indiquées par Rita au grand dam de son supérieur. Et sentir sa valeur dans les yeux de cet enquêteur est bien suffisant pour lui retourner l'ascenseur.
Ce polar tisse un ensemble d'éléments incroyable avec une dextérité qui garde le cap sur l'objectif de l'auteure : la travailleuse du sexe à qui personne ne voudra lancer la première pierre. Un passage de l'évangile.transposée dans le monde moderne. Hélène Desjardins donne à son héroïne une densité soutenue par une écriture incisive qui mord dans le passé dont Rita assume les frais. Malheureusement, le dénouement fleur bleue vient gâter un peu la sauce.

Libris québécis - Montréal - 82 ans - 15 août 2003