Flandre-Wallonie, quelle solidarité ? : De la création de l'Etat belge à l'Europe des régions
de Michel Quévit

critiqué par Le rat des champs, le 24 mai 2010
( - 74 ans)


La note:  étoiles
Belgique: transfert Nord-Sud ou Sud-Nord?
En 1979, un jeune excité nommé Eric Van Rompuy vociférait à la tribune du congrès de son parti : « J’en ai assez du poids wallon ! La Flandre en a marre de supporter le poids économique de la Wallonie ». Cette diatribe, émanant d’un membre important d’un des plus grands partis politiques belges eut un poids énorme sur la population flamande. Van Rompuy se basait sur une étude économique réalisée par la Katholiek Universiteit van Leuven prétendant qu’entre 1970 et 1974, la Wallonie recevait plus d’argent de l’État qu’elle ne contribuait à l’impôt. Certains hommes politiques flamands embrayèrent sur ces chiffres, comme l’ex-judoka Dedecker, peu connu pour son sens des nuances, qui affirma au journal « le Point » que « ça fait plus de cent soixante-quinze ans que les Flamands payent pour la Wallonie, et que ça ne peut plus durer. »

Qu’en est-il exactement ? L’analyse des chiffres du professeur Hannes de l’université de Gand, qui prétend qu’il existe de monstrueux transferts Nord-Sud depuis le début de la Belgique montre clairement qu’il n’en est rien, et que les contributions de chacune des régions ont toujours été proportionnelles à leur population, sauf en ce qui concerne les frais de douane qui étaient en grande partie alimentés par le port d’Anvers, et auxquels contribuaient largement les entreprises sidérurgiques wallonnes.

Une première remarque qui doit être faite est que le traité de Rome (1957) impose une solidarité financière entre les régions afin de maintenir l’unité de l’État. Chacun des États membres de l’union est invité à appliquer ces principes de solidarité sur son propre territoire, et c’est ce qui se passe partout dans l’union européenne, sauf en Belgique. La Bavière, la région de Londres, celle de Madrid font partie des régions dites contributrices alors que le pays de Galles ou la Galice font partie des régions débitrices.

On peut donc tirer une première conclusion, c’est que même s’il était avéré que la Wallonie vit « aux crochets » de la Flandre, ce serait tout à fait normal et conforme aux règlementations européennes. Mais est-ce le cas, rien n’est plus douteux.

De 1830 à 1955, la sidérurgie et les charbonnages faisaient de la Wallonie une région contributrice et de la Flandre une région débitrice.

A ce stade de la discussion, on peut ouvrir un premier dossier, celui du port d’Anvers, qui a bénéficié d’importants investissements du pays tout entier. Jusqu’en 1863, les Pays Bas étaient autorisés en vertu d’un traité de 1839, à prélever un droit de péage pour toutes les marchandises qui transitaient par le port d’Anvers. Cette situation a été supprimée par le paiement de la somme fabuleuse pour l’époque de 36,2 millions de francs belges, à laquelle ont contribué la Grande-Bretagne, la France, la Prusse, le Danemark et la Norvège.

Le professeur Baudhuin, auteur d’une histoire économique de la Belgique, a estimé que 10 milliards de dépenses de l’État belge pour le port d’Anvers (en francs de l’époque !) ont généré plus de 50 milliards d’investissements privés.
Plus fort encore, quand il s’est agi de développer le port de Zeebruges, le gouvernement avait décidé à la fin des années 70, de donner un milliard d’investissement à la Wallonie pour un milliard dépensé pour Zeebruges, à condition que cette dernière n’en reçût pas plus que seize. 115 milliards de francs belges ont à l’époque été consacrés aux travaux de Zeebruges, en échange de quoi la Wallonie ne reçut que 16 milliards, ce qui est chacun en conviendra un marché de dupes.

Il serait fastidieux de détailler ici toutes les injustices flagrantes et osons le mot, les détournements de fonds dont fut victime la région wallonne de la part de la Flandre, et je me contenterai de les évoquer sommairement : le sauvetage financier du Boerenbond par l’Etat belge en 1934 (un milliard 295 millions), celui des charbonnages du Limbourg entre 1982 et 1991 (196 milliards) alors que peu de temps auparavant, les Flamands avaient fait passer une loi de régionalisation des secteurs nationaux, dont la sidérurgie et les charbonnages, afin d’éviter que de l’argent flamand (traduisez belge) ne vienne renflouer les charbonnages wallons !

Cette subsidiation fédérale des secteurs nationaux, qui selon les hommes politiques flamands entraînaient des transferts scandaleux d'argent flamand (traduisez fédéral) vers la Wallonie furent répartis entre 1977 et 1980 de la façon suivante: 76,7% pour la Flandre et 23,3% pour la Wallonie. Ces chiffres impartiaux n'empêchent pas les politiciens flamands de continuer à prétendre que la Wallonie appauvrit la Flandre!

De nombreux tableaux, graphiques et chiffres difficilement contestables illustrent ce livre et tendent à démontrer que contrairement à ce qu’affirment les mouvements indépendantistes flamands, le taux de croissance des deux régions est absolument comparable et leurs contributions à l’État fédéral identique à peu de choses près.

En conclusion, les mouvements séparatistes essentiellement flamands violent le traité de Rome et les règles de solidarité que celui-ci impose, mentent sur les chiffres et refusent obstinément de tenir le moindre compte de la part que tous les Belges, y compris ceux qu’ils traitent de profiteurs vivant à leurs crochets, ont investi dans leur bien être. Ce portrait d'une Flandre prédatrice se désintéressant de la carcasse qu'elle a rongée depuis des décennies est étayé par des chiffres et des tableaux émanant d'études universitaires, y compris flamandes.
Les transferts financiers entre le nord et le sud du pays 8 étoiles

Michel Quévit a enquêté sur les transferts financiers nord-sud si souvent dénoncés par les nationalistes flamands. En effet, depuis 1965, la région wallonne contribue moins aux recettes de l'Etat belge qu'elle ne reçoit. Cette situation résulte du déclin industriel de la sidérurgie et du charbon. Ces transferts existent aussi dans d'autres pays touchés par le même problème : Madrid et la Catalogne vers l'Extrémadure et la Galice (Espagne) ; l'Ile de France vers le Nord-Pas de Calais et le Limousin (France).

Pendant plus d'un siècle, la sidérurgie wallonne a été un atout pour tout le pays, car jusqu'à la mise en exploitation des charbonnages de Campine en 1926, la Wallonie était la seule à disposer de charbon en Belgique. Pour exporter ce charbon, elle aurait pu tirer profit de sa proximité avec des ports étrangers (Dunkerque pour le Hainaut et Rotterdam pour Liège) mais elle est restée solidaire des projets portuaires de l'Etat belge : Anvers et Zeebrugge.

Plus de 2.000 km de voies navigables (canal Albert, canal de Willebroeck, canal de la Campine, p.ex.) ont été créés à partir d'Anvers vers la Wallonie, la France et l'Allemagne. Dans son étude sur l'histoire économique de la Belgique de 1957 à 1968, le professeur Baudhuin fait remarquer : "Les 10 milliards de dépenses du secteur public (Etat et ville d'Anvers) en faveur de l'infrastructure portuaire d'Anvers ont eu un effet multiplicateur de cinq, générant près de 50 milliards d'investissements privés". C'est le début de l'essor économique de la région anversoise et de la Campine dans l'acier et la sidérurgie, mais aussi dans la pétrochimie, le raffinage et le secteur automobile. De 1959 à 1973, la province d'Anvers comptabilise le plus d'investissements aidés (21%) par rapport à toutes les autres provinces belges. Au cours de la même période, elle reçoit 30% des investissements étrangers effectués en Belgique.

Si l'Etat belge est intervenu à plusieurs reprises pour tenter de sauver la sidérurgie wallonne, il n'a cependant pas négligé le nord du pays. En 1934, le Boerenbond, une caisse rurale de crédit active principalement en Flandre, est en faillite suite à des activités financières risquées, mais il est sauvé par l'Etat belge. L'électrification du réseau ferroviaire belge a débuté en 1935 par la ligne Bruxelles-Malines-Anvers, tandis que les autres lignes ferroviaires seront électrifiées de 1949 à 1956. La première autoroute créée par l'Etat belge sera l'E40 Bruxelles-Ostende en 1956 afin de développer le tourisme à la côte et faciliter l'accès à la mer pour le transport des marchandises. En 1970, le gouvernement donne 115 milliards de FB pour créer le port de Zeebrugge accessible à des navires de 250.000 tonnes, avec un hinterland industriel axé sur les technologies du futur. Sous l'impulsion du ministre limbourgeois Willy Claes, un plan de 210 milliards de FB est lancé de 1982 à 1991 pour améliorer la compétitivité des charbonnages de Campine qui ont cependant ensuite fermé leurs portes.

Michel Quévit pointe la responsabilité des groupes financiers (francophones et flamands) dans les disparités économiques en Belgique. Si ces groupes financiers ont d'abord investi en Wallonie, c'est en raison de la richesse minière et houillère du territoire wallon. S'ils se sont ensuite délocalisés vers la Flandre (notamment lors de la création du complexe sidérurgique de Sidmar), c'est en raison des opportunités nouvelles qu'offraient les infrastructures maritimes et portuaires créées par l'Etat belge.

Et maintenant? D'après les statistiques européennes, l'écart du PIB/hab restait significatif en 2005 entre le nord et le sud du pays : 87,5 pour la Wallonie et 120,1 pour la Flandre (moyenne au sein de l'UE : 100). La Flandre n'est cependant pas reprise dans la liste des 15 régions les plus prospères de l'UE et la Wallonie parmi les 15 régions les plus pauvres de l'UE (qui appartiennent à l'ancienne Europe de l'Est). On remarque aussi que le PIB/hab de la Wallonie est semblable à d'autres régions industrielles comme les Asturies (90,2) ou le Nord-Pas de Calais (88,6).

L'image "bipolaire" des disparités régionales peut être nuancée par une analyse de la Commission Européenne sur la croissance du PIB par province de 1995 à 2004 : Bruxelles, le Brabant flamand et le Brabant wallon atteignent un taux de 3% ; les provinces d'Anvers, Flandre orientale, Flandre occidentale, Limbourg, Namur et Luxembourg ont une croissance qui varie de 2 à 2,7% ; les provinces de Liège et du Hainaut stagnent entre 1 et 2%.

Bravo à Michel Quévit pour cet ouvrage intéressant et bien documenté, mais par souci d'objectivité, il manque un chapitre autocritique sur le manque de vision et les erreurs de gestion des responsables politiques wallons.

VLEROY - - 45 ans - 5 janvier 2011