Cargo, la religion des humiliés du Pacifique de Gerald Messadié

Cargo, la religion des humiliés du Pacifique de Gerald Messadié

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire

Critiqué par Dirlandaise, le 25 mai 2010 (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 69 ans)
La note : 8 étoiles
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Les ravages du colonialisme

Gerald Messadié a découvert les cultes Cargo lors d’un premier voyage dans le Pacifique en 1981. Il était sur la terrasse de son hôtel des îles Fidji lorsqu’il a remarqué un objet étrange qui figurait parmi une exposition sur l’art primitif. Il s’agissait d’un avion miniature qui aurait servi d’appeau dans des cérémonies spéciales pour attirer les grands avions, les cargos dont les soutes étaient remplies de richesses et d’objets tous plus attirants les uns que les autres pour les Papous. Monsieur Messadié, voulant en apprendre plus sur le sujet, commença alors une enquête qui devait durer pendant plusieurs années au cours desquelles il se documenta sur cet ensemble de cultes qu’on nomme « Culte Cargo » qui est considéré comme une des plus jeunes religions au monde.

Pendant près de quarante mille ans, les Papous ont vécu complètement coupés du reste du monde. Mais, inévitablement, les Blancs commencèrent à explorer les îles du Pacifique et pour les Papous, cela a signifié la mort d’un ancien monde et l’affrontement de deux cultures totalement à l’opposé l’une de l’autre. Ils ont vu leur territoire peu à peu envahi et exploité par les hommes blancs. Ils ont rapidement été réduits en esclavage afin de servir la cupidité des grandes puissances colonialistes. D’un peuple de guerriers fiers et libres, ils sont devenus un peuple d’humiliés et de soumis. Les missions se sont implantées amenant la christianisation des indigènes mais les Mélanésiens ne se sont jamais convertis réellement. Ils ont dû feindre de le faire afin d’assurer leur survie mais sous la cendre, les braises ne se sont jamais éteintes. Voyant les nombreux objets d’utilité courante amenés par les avions des hommes blancs, les Mélanésiens ont commencé à créer des sortes de cultes dans le but d’attirer les avions cargos et ainsi profiter de toutes ces richesses de la civilisation : ce sont les cultes Cargo qui ont fleuri un peu partout dans les archipels du Pacifique.

Je résume bien succinctement le propos de ce livre. Monsieur Messadié n’est pas un ethnologue, il est romancier et érudit mais on pourrait facilement qualifier son livre de traité d’ethnologie tant il est bien documenté et retrace avec minutie toutes les étapes qui ont mené à la naissance des cultes Cargo dans le Pacifique. C’est un livre fascinant sous bien des aspects et très humain. Il expose avec justesse les ravages du colonialisme et l’impact que l’arrivée des Blancs a provoqué sur l’imaginaire et la vie des Papous de Nouvelle-Guinée et des archipels environnants. J’ai bien aimé le parallèle entre les prophètes mélanésiens et les preachers américains présenté avec une pointe d’humour de la part de l’auteur en fin de volume. Le messianisme et le millénarisme des cultes Cargo ne vont pas s’en rappeler d’autres religions beaucoup plus anciennes et répandues dans le monde.

J’ai apprécié cette lecture malgré le fait que l’auteur s’évertue à narrer toutes les révoltes qui ont eu lieu dans les différentes îles et cela devient un peu redondant car le schéma est presque toujours le même. Je me suis souvent perdue dans tous ces noms exotiques de petits villages papous. Heureusement, l’auteur respecte une certaine ligne chronologique qui aide le lecteur à se repérer un peu dans cette nuée d’informations. Monsieur Messadié se réfère souvent à des ouvrages d’ethnologues réputés comme entre autres Jean Guiart, Margaret Mead et Peter Lawrence. Cela devient un peu lassant à la longue. Les notes de fin de volume sont abondantes et parfois très longues. Il faut prendre des notes car le livre ne comporte pas de glossaire ce qui aurait été apprécié. Un excellent ouvrage, bien documenté, d’une érudition certaine et fort instructif. J’enlève une étoile pour la redondance de certaines descriptions de révoltes et pour le fouillis d’informations présentées de façon telle que le lecteur risque souvent de ne plus très bien s’y retrouver.

« Les administrateurs coloniaux, tout comme les missionnaires, avaient également sous-estimé la capacité de résistance et la finesse goguenarde des Mélanésiens. Pour parler bref, ils les avaient pris pour des « primitifs », en d’autres termes, des imbéciles. »

« Toute l’histoire du vingtième siècle est jonchée de conflits sanglants, qu’on appelle guerres coloniales, ce qui est mal dit : c’étaient en fait des guerres déclenchées par des peuples qui voulaient échapper à l’annihilation culturelle par des puissances protestant pourtant, avec tous les accents de la sincérité, qu’elles ne voulaient que le bien des révoltés : l’introduction du suffrage universel et de la démocratie, le commerce et le libre-échange ; bref, l’occidentalisation sous la bienveillante tutelle de pays qui disposaient, eux, des moyens nécessaires pour garantir cette accession à l’âge adulte. L’appellation de « guerres coloniales » était particulièrement inadaptée dans le cas de pays qui n’avaient jamais été des « colonies » au sens courant de ce mot, c’est-à-dire tropicaux, peuplés d’illettrés évidemment nonchalants et riches de ressources dont ils étaient censés méconnaître la valeur ou la mal gérer, tels que le Chili, Cuba, le Vietnam, l’Angola, la Tchétchénie et j’en passe beaucoup. »

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