Lucienne et le boucher de Marcel Aymé

Lucienne et le boucher de Marcel Aymé

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Théâtre

Critiqué par Jules, le 15 mars 2002 (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 4 étoiles (50 014ème position).
Visites : 9 149  (depuis Novembre 2007)

Cherchez la femme !

Une pièce dont le début nous fait croire que nous entrons dans une sorte de Feydeau de quartier populaire. Rassurez-vous ! Ce n’est pas du Feydeau.
Une petite rue de quartier à Paris. La boucherie Duxin a pour voisine la bijouterie de Monsieur Moreau et de sa belle épouse Lucienne. Monsieur Moreau, fier de ses diplômes et de la supériorité manifeste de sa marchandise sur celle de son voisin, toise ce dernier du haut de son mépris. Mais il se fait que la maison qu'il occupe est aussi la propriété de Duxin. Cela reste dans la gorge de Monsieur Moreau qui ne rate pas la moindre occasion de se disputer avec Duxin.
Petites précisions : Monsieur Moreau est nettement plus âgé que sa jolie femme et plutôt du genre rat de bibliothèque au teint blafard, à la poitrine creuse et aux muscles en creux. Duxin est une force de la nature et respire la santé, la puissance. Il est veuf et a un fils, Alfred, qui lui succédera un jour. Monsieur Moreau a une assez jolie fille, Madeleine, qui est amoureuse d'Alfred et celui-ci le lui rend bien.
Le rideau s'est à peine levé que voilà nos deux voisins en pleine engueulade ! Duxin semble plus conciliant, moins mordant que Monsieur Moreau, coq dressé sur ses petits ergots, gonflé de son « statut »… Arrive Madame Moreau et nous découvrons que, ni une ni deux, elle prend le parti de Duxin ! Moreau se dégonfle comme une baudruche et va être renvoyé dans sa boutique comme un gosse surprit à voler dans l’armoire aux confitures.
Oh, tout est simple ! Madame Moreau, disons plutôt Lucienne, rêve des mains puissantes de Duxin, de ses bras comme les cuisses de son mari, de son torse large et velu, de toute cette force virile qu’elle devine en cet homme. Elle ne le lui cache d'ailleurs pas et lui fixe un rendez-vous. Dès ce premier assaut de Lucienne, nous devinons cependant que notre brave boucher Duxin est davantage un amoureux qu'une simple bête de sexe. Mais Lucienne ne veut penser qu’à « la bête » de sexe…Elle s'y voit déjà et en rêve depuis un bail !
Quoi de plus banal que tout cela me direz-vous ? Cela existe depuis la nuit des temps !. C’est tout à fait vrai et Lucienne va d’ailleurs posséder Duxin, mais dans tous les sens du terme... Vous en connaissez beaucoup, vous, des hommes qui résistent à une jolie femme et qui plus est les assaille comme le ferait une division entière de Panzers ?
Mais Lucienne n'en reste pas moins une vraie « bourgeoise » et ce n'est pas parce qu’elle se « donne » à Duxin qu'elle accepte un éventuel mariage entre sa fille et Alfred qui, après tout, n’est que fils de boucher et futur boucher lui-même ! Pour preuve, quand elle apprend que sa bonne s'est fait violer (à trois reprises.) par le cordonnier du quartier, elle la chasse, car la garder pourrait faire jaser dans le quartier…
Pauvre Duxin ! Naïf et amoureux de Lucienne, comme Abelard d’Héloïse, il n’a pas fini d'en voir et recevra un cours magistral de ce que la femme peut parfois contenir de duplicité et de rouerie. Mais.
Cette pièce est une étude de caractère qui a pris la femme pour cible et décrit les hommes comme de fieffés benêts. Leur vanité permet à celle-ci, avec la diplomatie et la finesse qui peut la caractériser, d’en faire ce qu'elle veut. Il y a aussi tout le côté social. Un boucher peut-il rêver posséder la femme d'un bijoutier ?… Par le sexe, oui ! Pour le reste cela tient du pur rêve !.

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6 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 16 mars 2010

« ACTE PREMIER. Vues de face et séparées par un couloir, deux boutiques. Celle de droite est une bijouterie. Sur la vitrine, en lettres blanches : Moreau, joaillier, horloger. L’autre boutique est une boucherie : Boucherie Duxin. Un veau ouvert est pendu à l’étal. »
C’est ainsi que Marcel Aymé brosse le décor sur lequel va se lever le rideau.
Moreau est le mari de Lucienne. Un vieux mari, beaucoup plus vieux que ne l’est Lucienne. Il est joaillier et en tant que tel se situe (je veux dire que lui se situe ainsi) au plus haut de la caste des commerçants, bien au-dessus à ses yeux qu’un boucher qui manipule la viande, qui a partie liée avec la mort. On n’est pas loin à cet égard du fondement du système de castes à l’indienne à la différence que celui-ci est institutionnalisé, défini ! Donc Moreau prend Duxin de haut, et cherche en permanence à le rabaisser, le brimer. Pas de chance : le propriétaire des boutiques, de la joaillerie aussi, c’est Duxin. On imagine la frustration de Moreau ! Pas de chance non plus pour Moreau, Lucienne, sa femme, en vient à comparer la vigueur de Duxin avec le début de sénilité de son mari. Et on imagine de quel côté balance son tempérament !
Duxin, lui, est un bon bougre, qui aime son métier et ne conçoit pas méchanceté ou vice et va très vite se retrouver « jouet perdu » entre les griffes de Lucienne. D’autres personnages plus secondaires mais qui vont dans le même sens de l’histoire vont alimenter les rebondissements : Alfred, le fils de Duxin et aussi brut de décoffrage que son père, qui est amoureux – et réciproquement – de Madeleine, la fille de Moreau.
La fin est un happy-end des plus étonnant – enfin, pas pour Moreau ! – où la morale est sauve et dans lequel le méchant est puni.
« Lucienne et le boucher » est une charge contre l’esprit petit-bourgeois, l’esprit de caste et une ode au naturel. Un naturel qui serait naturellement honnête et gentil ce qui reste largement à démontrer. Démontrer, c’est justement ce que tend à faire cette pièce de Marcel Aymé, comme « La tête des autres », et c’est moins bluffant, spontané, « décoiffant » que ses nouvelles ou ses romans. Il me semble.

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