Voyage en enfer : journal de Tchetchénie
de Anna Politkovskaâ

critiqué par Dirlandaise, le 27 mai 2010
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Contre vents et marées...
Anna Politkovskaïa était une journaliste russe qui écrivait pour le journal « Novaïa Gazeta ». Je dis bien était car Anna est morte, lâchement assassinée par balles dans l’entrée de l’immeuble qu’elle habitait à Moscou. Les coupables n’ont jamais été arrêtés. Ce sont probablement des hommes à la solde de Poutine mais va savoir… J’aime Anna et je regrette vivement sa disparition dans des circonstances aussi violentes, elle qui a dénoncé sans relâche les horreurs commises lors des deux guerres russo-tchétchènes. Malgré le fait qu’elle était de nationalité russe, Anna a toujours défendu les civils tchétchènes pris dans des combats qui en ont laissé plusieurs sans famille et horriblement mutilés.

Ce livre est composé de vingt articles parus dans le journal « Novaïa Gazeta » entre le sept octobre 1999 et le sept avril de l’an 2000. Anna a recueilli les témoignages de nombreux civils ayant fui Grozny, la capitale tchétchène prise d’assaut par les forces fédérales russes. La plupart ont été interrogés sur leur lit d’hôpital, en proie à de grandes souffrances. Ce sont des jeunes mères, des vieillards souvent âgés de plus de quatre-vingt ans, de jeunes adolescents et des enfants traumatisés suite à la perte de toute leur famille dans les bombardements. Anna a aussi visité de nombreux camps de réfugiés en Ingouchie et dénonce les conditions de vie épouvantables auxquels sont soumis les civils ayant fui les bombardements et les combats. Pourtant, Moscou injecte des fonds afin d’acheter des médicaments, de la nourriture et des objets de première nécessité mais cet argent est détourné par des fonctionnaires malhonnêtes et véreux qui profitent de la guerre pour s’enrichir honteusement sur le dos des femmes, des enfants et des vieillards qui meurent de faim dans les camps par leur faute.

Le livre porte bien son titre. C’est en enfer qu’Anna entraîne ses lecteurs et ceux qui ne veulent pas savoir ce qui se passe en enfer feraient bien de ne pas lire ce livre car ils risquent de rester marqués par les histoires horribles recueillies par la grande journaliste. En refermant le volume, je comprends mieux pourquoi Anna a été tuée. Elle raconte tout et nomme des gens, elle ne déguise pas la réalité et pose des questions gênantes pour le gouvernement de Vladimir Poutine. Elle était la conscience d’un peuple et la porte-parole des faibles et des opprimés de ces deux horribles guerres. Anna aimait trop la justice et avait un sens de l’honneur trop développé pour rester en vie plus longtemps en Russie où le silence est un gage de survie. Repose en paix chère Anna et merci pour ce livre.

« Mais, moi je n’arrêterai pas de rédiger cette chronique consacrée aux tourments effroyables de toute une population civile prise entre le marteau et l’enclume de deux ennemis irréconciliables et qui se haïssent avec une telle ardeur : les Boïeviki et les fédéraux. Je continuerai à témoigner pour ces femmes exténuées et ces enfants cyanosés à cause de la faim ; pour ces vieillards qui ont survécu à la Seconde Guerre mondiale et aux répressions staliniennes et qui se retrouvent aujourd’hui sans abri, épuisés et perclus ; pour ces malades atteints du cancer, d’ulcères sanglants ou de blessures purulentes et qui ne parviennent pas à se faire soigner. Je continuerai à parler des bébés blessés ou tués. Et à ressasser que, si notre société ne perçoit pas l’état d’avilissement dans lequel la plonge l’acceptation passive de telles souffrances et de tels camps, cela signifie qu’elle ne tardera pas à périr elle-même. Contre vents et marées, je continuerai à écrire… »