Le seigneur des ânes de Éric Dejaeger
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Educational fantasy
Éric Dejaeger s’attaque au milieu scolaire avec les armes de la dérision et de l’ironie mais subtilement, et il frappe fort. À tel point qu’on se demande si ce n’est pas déjà comme il l’écrit : le blockal et autres innovations médiatico-scolaires, la porosité du milieu, la violence à tous les niveaux du système... Et si c’était vrai, se surprend-on à penser. Comme dans son précédent roman, Dejaeger use de tous les outils du romancier : l’ellipse (remarquable dans le chapitre final), jeu sur les temps, chapitres de diverses longueurs et de genre différent, personnages reliés par un même lien familial...
Dejaeger exprime par le biais de la fiction ce que bon nombre d’acteurs du secteur ne parviennent pas à formuler, faute d’espaces adaptés. Quand, dans un chapitre, il parle de la motivation auquel est tenu tout enseignant, il met l’accent sur un point sensible : dans quel autre corps de métier est-on tenu à être motivé ? Servir, fonctionner, oui. On ne demande pas au médecin d’être motivé, ni au maçon ni à l’informaticien. Et il montre avec humour les effets d’une hyper motivation...
Il dresse le portrait d’un milieu qui se détériore, faute de moyens alloués au secteur de plus en plus (mana)géré comme une vaste entreprise publique, jusqu’au sein même des établissement où, forcément, les différents acteurs sont amenés à fonctionner suivant un ordre de plus déshumanisé qui ne fait qu’infantiliser et culpabiliser l’enseignant tout en accentuant la violence et le stress généraux au lieu de les canaliser dans le réseau éducatif. Au passage, dans une note de bas de page, l’auteur ne craint pas de tacler cette ministre de l’enseignement (devenue depuis une intouchable de son parti et de la politique belge) de 1996 qui, en bon soldat de la cause social(ist)e n’a pas craint de dégraisser le secteur de plus de 3000 pièces dont le manque se fera cruellement ressentir quelques années plus tard.
Dans un dialogue entre le médecin contrôleur et un personnage récurrent du récit, on peut lire dans la bouche de l’enseignant stigmatisé: « Je ne suis pas malade. C’est ma profession qui est malade. »
Nul doute que cet ouvrage fera date, parmi d’autres sans doute, pour marquer le point de non retour où est parvenu le milieu incriminé en faisant coïncider les rêves retors du romancier visionnaire avec les réalités d’un terrain de plus en plus miné.
A noter l'excellente finition de l’ouvrage (couverture à rabats notamment) due aux éditions Maelström reEvolution et l’illustration de couverture signée Sarah Dejaeger.
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Dans la fosse aux lionceaux
Critique de Bolcho (Bruxelles, Inscrit le 20 octobre 2001, 76 ans) - 15 janvier 2011
N’empêche, je ne sais pas s’il faut le conseiller aux futurs pédagogues ; sinon, on risque de les faire entièrement disparaître.
Vous savez ce qu’est une fin de carrière d’enseignant dans les écoles « à discrimination positive » ? Quelque chose comme la pleine conscience d’avoir été inutile, à l’une ou l’autre exception près. On ne se sent pas coupable pour autant. Non. Juste complètement hors de propos. La machine sociale à faire des inégalités et des injustices vous a mis dans les pattes des jeunes broyés. Alors, vous savez bien que vous ne combattez pas au bon endroit. Vous n’êtes pas sur le front ; on vous demande juste de passer derrière les lignes avec votre brancard pour ramasser les corps. Les esprits, eux…
C’est vrai que j’enseigne dans une « école à discrimination positive » un peu spéciale puisqu’il s’agit de la prison. Mais les différences ne sont pas si fortes que cela. Pas de passé, pas d’avenir et cette constante obligation : il faut se pendre aux barreaux pour se hisser le plus haut possible et deviner à quoi aurait pu ressembler la vie si on était né du côté des nantis.
Si proche du vrai, parfois...
Critique de Bluewitch (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 45 ans) - 7 août 2010
Eric Dejaeger écrit un livre sur l’école. Pas celle des loisirs, non. Sur ce qu’elle devient, pourrait devenir. C’est quoi, l'école dans notre société ? Un prof enfermé dans un « blockal » ? Des délibés téléréalité ? Des formations de remotivation ?
Alternant les genres et les rythmes, l’auteur met à nu, avec beaucoup de subtilité, un monde qui nous semble aujourd’hui surréaliste. L’enseignement dans toutes ses dérives potentielles. Finalement, dans ces pages, on sent le cynisme affectueux de quelqu’un qui s’est longtemps laissé consumer par son feu sacré sans pour autant le perdre. Et ce n’est pourtant pas facile.
Violence, absurdités, manque de moyens, pertes de contrôle, incohérences pédagogiques. Le point de non retour n’a-t-il pas déjà été franchi ?
Tous les chapitres du "Seigneur des Ânes" sont comme un documentaire, une reconstitution possible, sous les angles aiguisés, affaiblis ou bancals de personnages liés par cette profession d’enseignant qui ne sait plus comment elle fait pour trouver encore des élus. Ce métier où il faut absolument rester motivé, flexible, ouvert.
Tous les outils clés de la fiction y sont pourtant et on se laisse prendre au jeu. Perspicace construction, écriture fluide, martelée, sortie de la pierre brute pour être ciselée au détail près.
De quoi marquer les esprits avec peut-être plus d’efficacité et de finesse que le tartinage pataud des faits divers médiatiques.
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