Le cas Wagner de Friedrich Wilhelm Nietzsche

Le cas Wagner de Friedrich Wilhelm Nietzsche
( Der Fall Wagner)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie

Critiqué par Js75, le 17 juin 2010 (Inscrit le 14 septembre 2009, 41 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 719ème position).
Visites : 4 360 

3,5 étoiles!

Le cas Wagner est vraiment un bon livre philosophique.Je le conseille à tous. Nietzsche a écrit ce livre en mai 1888 avant de sombrer dans la folie.Le livre n'est pas seulement une critique cinglante de Wagner mais c'est aussi une critique de la société allemande de l'époque.

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Le crépuscule du dieu

9 étoiles

Critique de Radetsky (, Inscrit le 13 août 2009, 81 ans) - 20 août 2014

Quoique Wagner ait eu la postérité qu'on sait sous le nazisme (avec Nietzsche, bassement récupéré), il était déjà catalogué par celui qui fut auparavant son premier admirateur : un décadent, leitmotiv asséné sans cesse dans cet ouvrage comme... des coups de marteau !

Le changement de perspective s'opéra chez Nietzsche dès qu'il put constater et analyser la nature, chez et hors Wagner, de son succès. L'interaction entre le public allemand et le musicien, tout comme leurs liens qui allèrent en s'amplifiant, l'un concourant par ricochet à l'enflure de l'autre (une sorte de "bulle" spéculative), trahirent le fond, le tréfonds de toute l'histoire : ce n'est plus à un "esprit" aussi élevé qu'il voulût paraître que le musicien s'adressait, mais aux plus basses résonances, qu'on trouve d'ordinaire au niveau de l'estomac, en l’occurrence l'estomac allemand, trop allemand.

Wagner concentrait soudain la boursouflure hypocrite du Romantisme allié au nationalisme allemand naissant, les miasmes délétères des antiques mythes germaniques, la guimauve du conformisme, l'exaltation tribale, jusqu'à l'antisémitisme, auxquels s'entremêlent les ingrédients empruntés à la morale chrétienne, dans une manifestation où le génie était supposé tirer son évidence des clichés les plus grossiers, associés aux fumées d'un cerveau engourdi par les décibels.
A ceci s'ajoute ce que Karl Jaspers nomma "le fracas prusso-allemand de 1866-1870" (Sadowa et Sedan) qui provoqua la terreur de Nietzsche...", contexte qui allait féconder le terreau où allaient naître lers monstres et le genre de culture qui les accomapgne.

Après les généreuses tentatives d'un Berlioz en France, c'est à Wagner qu'on doit le triomphe du kitsch en musique, c'est à dire du mauvais goût.
Auparavant, la musique apportait au mélomane plaisir, délicatesse, rêverie, apaisement, mélancolie ou tristesse, et surtout une immense joie. Avec Wagner le voilà brusquement embrigadé dans le délire hystérico-mystique d'un démiurge furieux : fi donc ! de la délicatesse ou des émotions subtiles, c'est à une bacchanale sécularisée par la grâce des valeurs bourgeoises qu'on est sommé de participer. Car l'adhésion est implicitement imposée par les techniques utilisées, et l'esprit va progressivement perdre son restant de "pour soi".
Enfin la messe wagnérienne est dite, adjuvant par lequel une société (car le poison est pernicieux, il passe par à peu près toutes les pores du corps social) va pouvoir se forger une "identité" et un "Destin". Qu'on y songe, Wagner autorisait l'intégration de l'imaginaire petit-bourgeois dans les plus hautes instances et valeurs de la culture allemande : noblesse (les guerriers), mystique (les dieux), transfiguration (le héros transcende sa condition : c'est le "melting pot" au service des médiocres).
Ainsi Wagner ratissait large (que de "cibles" !), forçant ses effets par une technique musicale directement inspirée de l'artillerie de marine. De nos jours, on appelle ça les "effets spéciaux", dont on sait que le spectaculaire est inversement proportionnel aux qualités de l'intellect, justement.

Les tripes de l'Allemand rempli de bière et de brumes nauséabondes : telles furent les cibles de Wagner, empressé à flatter les penchants d'un monde allant grassement vers la catastrophe ; quoi que le troupeau des esthètes bêlants ait pu en dire (et persiste de nos jours dans les laudes).
Et Nietzsche ne se prive pas de fustiger l'effet "groupie" que le phénomène Wagner va inspirer et faire prospérer, notamment à Bayreuth promue ville sainte et lieu de culte ; et lorsque culte il y a, on a tout lieu de suspecter quelque monnaie de singe... Au point qu'on verra Cosima Wagner truster après la mort de son frère les valeurs et le capital (au propre comme au figuré - c'est moi qui souligne) d'une opération de marketing menée au pas de charge.
Quitte à provoquer l'ire des wagnérolâtres, il faut avouer que la dérivée ultime de ce type d'expression musicale trouve sa forme parfaite dans la musique de cirque ou la musique militaire, laquelle comme on sait est à la musique ce que la justice militaire est à la justice (et vice-versa).

La fortune que connut Wagner dans l'Allemagne des années 1900 - 1945 trouva son point culminant grâce aux nazis, comme par hasard. Ce constat laisse rêveur lorsqu'on songe à l'expression si fréquemment employée par Frédéric Nietzsche dans cet ouvrage, à propos de Wagner : "...attention...! Danger...!"

L'ouvrage est constitué de courts chapitres, où on suit l'élaboration et la maturation de la pensée de Nietzsche. Les répétitions, les scansions du style peuvent lasser parfois, outre qu'un certain "esprit du temps" est aujourd'hui peu perceptible, mais la démonstration est imparable.

Hélas, Wagner ne put à lui seul figurer le chancre ultime susceptible de fixer une fois pour toutes une culture envahie par la vulgarité et la plus basse violence et éviter le pire.... mais nous étions prévenus.

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