Cercle de Yannick Haenel

Cercle de Yannick Haenel

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par S_dryade, le 23 juin 2010 (Lille, Inscrit le 23 juin 2010, 36 ans)
La note : 7 étoiles
Visites : 3 418 

Un livre siphonné.

C’est l’histoire d’une rencontre. Celle d’un homme, Jean Deichel, avec l’existence. Mais aussi celle des mots avec les phrases. Les règles et la pesanteur n’ont aucune place dans ce livre. Jean Deichel rate le départ de son train et c’est bien sa veine : l’arrivée se fait inatteignable. Une phrase traverse sa tête, "C’est maintenant qu’il faut reprendre vie.", et voilà que Jean se retrouve en l’air, ses paperasses s’envolent dans le ciel et la Seine. Quelle différence entre le bleu du dessus et du dessous ? Jean aussi suit le court de son existence. Il creuse son lit d’où s’échappent le rêve et les mots. Il perd la notion de différence : il n’y a plus la joie meilleure que la souffrance, la réalité plus vraie que le rêve, la route plus sûre que le chemin etc. Il ne reste que la disponibilité à l’évènement. Tout est à vivre, ou plutôt, à ressentir. Soyons tatillons, ce livre n’est qu’un jeu de mots où la pensée s’envole et s’enroule. Autour de quoi ? Du vide. Ce livre est vide. C’est ainsi qu’il résonne dès les premières phrases. Elles vous emportent dans une étrange sphère. L’air y est doux, les mots vous caressent et le spectre de Sartre apparaît rapidement, furtivement, au grès des nausées et des extases ou d’une page perdue. Si Roquentin finit son aventure avec l’envie d’écrire, Deichel commence avec elle. Comme une suite logique, quelques années plus tard. Le monde n’a guère changé. Les mots tapissent la sphère et accompagnent l’aventure. Les mots en sont la clef. Des phrases qui se font énigmes ou chants. Qu’importe la différence, c’est l’indifférence qui règne entre ces pages. Le ton est le même du début à la fin – si elle existe. Une voix s’élève du livre, lascive et parfois, lassante. Elle s’érige et jouit avec l’existence absolue – premier cercle – avec le nihilisme – deuxième cercle – et avec la disparition – troisième cercle.
Vous l’aurez compris, ce livre se compose d’une spirale. On ne passe pas d’un cercle à l’autre de manière brutale, même si les mots se font poussifs par endroits, ailleurs ils se cherchent, plus proche ils chantent. Les trois cercles se suivent et descendent vers le vide où sourit l’amour et la femme. Les phrases vous emportent et n’ont que faire de l’intrigue. Jean Deichel quitte sa vie pour l’existence, rencontre la danseuse Anna Livia, d’autres femmes, des hommes, des livres, les mots et le désir, le langage et la jouissance. Il file vers l’est, à la recherche d’Anna Livia, cette femme-coquelicot, qui pousse sur les champs de bataille. De Paris à Berlin. De Berlin à Varsovie. De Varsovie à Prague. Toujours vers l’est, là où tout est parti en fumée. L’est se fait le point d’évacuation de l’humanité. Ce que cherche précisément Jean Deichel : la disparition. La désubjectivation, l’évacuation du deichet. Pour se faire lui-même sa propre rencontre, toujours renouvelée. Pour se faire vide et délier ses gestes, ses mots. Alors forcément, ce livre n’est pas une vision du monde. L’aventure de Deichel se fait l’écho du monde. Pas d’optimisme ou de pessimisme, mais seulement le trou noir qui respire : attire et rejette, créé et détruit. L’existence se fait palpitation. Les gestes d’une danse. C’est le mot, la clef du livre : la danse. Les gestes de rien. Les liens sont tranchés, le corps largue les amarres et vogue sur les mers, contre vents et marées, dans le sillage d’Ulysse ou de Moby Dick.
Cercle, ce sont des phrases qui traversent la mort. Voilà. Cercle, c’est quitter la vie, aller au fond de l’enfer pour accéder au paradis. C’est faire rouler la vie et la mort sur le bord de l’existence, c’est expérimenter le vertige. C’est tomber au fond du trou, c’est grandir : un tronc de désir, des feuilles de phrases qui retombent comme un saule pleureur, une éclosion de jouissance et l’eau qui caresse les racines. La pensée se fait fluide. L’histoire se déroule et la fin tombe à pic.

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Les éditions

  • Cercle [Texte imprimé], roman Yannick Haenel
    de Haenel, Yannick
    Gallimard / L'Infini (Collection)
    ISBN : 9782070776009 ; 17,20 € ; 23/08/2007 ; 501 p. ; Broché
  • Cercle [Texte imprimé] Yannick Haenel
    de Haenel, Yannick
    Gallimard / Collection Folio
    ISBN : 9782070366354 ; 9,20 € ; 26/02/2009 ; 560 p. ; Poche
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