La Longue Attente
de Ha jin

critiqué par Jules, le 11 février 2002
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
D'excellentes descriptions psychologiques, ainsi que d'Ubu - Mao
Un livre que je suis vraiment très heureux d’avoir découvert ! C’est avant tout un roman psychologique, mais il nous fait découvrir énormément de choses dans d'autres domaines.
L'histoire de ce livre n’est pas bien compliquée. Lin Kong a une bonne trentaine d'années et est militaire et médecin. Il a été affecté dans un grand hôpital à plus de cent vingt kilomètres de son village d'origine, à la campagne. Très jeune, il a été marié par ses parents avec une jeune fille particulièrement laide et qu’il n'aimait pas. Mais son père l'y a forcé en lui disant qu’il s'agissait d’avoir une « bonne » femme à la maison pour soigner la mère et lui après.
Lin n’a qu'une permission de quinze jours par an pour rentrer dans son village natal. Après quelques années, il a eu une fille avec sa femme, mais, depuis lors, ne couche plus jamais dans le même lit que le sien. Sa femme, Shuyu, lui est totalement dévouée, soumise, et s’occupe bien du père. Chaque mois il lui envoie de l’argent et ses liens avec elle se limitent à cela.
Après quelques années de cette vie, Lin aime une jeune infirmière de son hôpital et ne pense plus qu’à une chose : obtenir le divorce de sa femme. Chaque année, pendant plus de douze ans, Lin va se présenter devant le juge du village, avec Shuyu, pour tenter d’obtenir son divorce. A chaque fois il va échouer à la dernière seconde. Et pendant ce temps là, son infirmière attend ! A chaque année qui passe la situation devient de plus en plus difficile pour eux et entre eux…
Dans ce livre, nous voyons aussi ce qu'était la vie en Chine dans les années qui allaient de 1960 à 1980. Aux contraintes draconiennes imposées par le régime de Mao (affectations lointaines, peur d’être muté encore plus mal, interdiction de quitter librement une ville ou la campagne, interdiction de se fréquenter librement etc.), s’ajoutent les contraintes héritées de l'ancienne Chine, et elles aussi sont très nombreuses ! Quelle place reste-t-il à l'individu dans un tel monde ?…
L'essentiel du livre réside cependant dans le fait de voir ces personnages évoluer à l’intérieur de schémas aussi rigides. C’est avant tout un roman psychologique et les évolutions de Lin, de Manna Wu, la jeune infirmière, et de Shuyu dans le temps sont merveilleusement bien rendues ! Ils se débattent tant qu’ils peuvent, mais le carcan est vraiment très lourd…
Nous pourrions trouver en quelques phrases ce qui fait l’essentiel de ce livre, et bien souvent les bonnes questions sont posées par Lin : « Nous sommes tous prisonniers de nos propres souffrances » et « Je suis un homme superflu. »
Mais Lin, l’intellectuel, le doux, le gentil, a-t-il jamais aimé dans sa vie ? Ne s’est-il pas tout simplement réfugié dans son métier, dans son univers aseptisé de l'hôpital avec ses règles et son confort relatif ? Et cela alors que d'autres êtres se débattaient autour de lui ?.
Un jour Lin va découvrir que Manna Wu, son infirmière, collectionnait des figurines de Mao. Celles-ci représentaient le « grand timonier » dans différentes circonstances de sa vie. Cette découverte va entraîner chez lui cette réflexion : « Certes, un jour ces babioles pourraient prendre une grande valeur, en tant que reliques témoignant de la folie révolutionnaire et des vies qu'elle avait brisées ou sacrifiées. »
Un excellent livre qui a obtenu des prix prestigieux: le National Book Award et le Pen/Faulkner Award
Attendre ou attendre encore ? 8 étoiles

Dans la sage Chine de Mao structurée, polie, où un pet ne s'entend jamais, Lin Kong se pose mille questions.
Divorcer de cette femme qu'on lui a imposé (tradition oblige), épouser l'autre, la plus jeune qui le bouscule ?

Lin n'est pas le champion des décisions ! Lin se demande d'ailleurs s'il n'est pas un être superflu ! Y a t'il un invité de trop à cette table ?
Un livre charmant qui mérite de se déguster.

Monocle - tournai - 64 ans - 23 novembre 2015


On ne badine pas avec l'Autorité (et encore moins avec les traditions) 9 étoiles

Lin Kong n'a pas choisi son épouse.
Soucieux de leurs vieux jours, ses parents comptaient sur une belle-fille qui prendrait soin d'eux.
Ils lui ont imposé Shuyu, une paysanne aux pieds bandés, saine et industrieuse, mais pour laquelle il n'a aucune affection.
Une situation courante dans la campagne mandchourienne.

Peu après la naissance de leur enfant unique, seul autorisé par le Parti, Lin Kong s'en va travailler en tant que médecin dans un hôpital citadin.
La plupart des infirmières lui vouent une sincère admiration.
Mais coincées par des règlements stricts, elles refrènent toute velléité démonstrative.
C'est que l'Autorité abhorre, décourage et réprime les rapprochements de personnes de sexes opposés, toujours susceptibles de déboucher sur des idylles et donc des copulations et donc des naissances, ce que l'idéologie maoïste en vigueur entend précisément contrôler.
Rien que des regards obliques et des sourires furtifs, donc.
Pas de quoi détourner Lin Kong de sa passion pour la littérature étrangère qu'il assouvit en cachette et en totale infraction avec les recommandations du Parti.

Mais il y a Manna Wu, une jeune infirmière qui ose un regard un rien plus appuyé, auquel répond un demi-sourire approbateur.
La naissance d'une passion !
Pas question de s'emballer toutefois : même s'il ne visite plus son épouse qu'une fois par an, et encore dans le seul but de l'inviter à consentir au divorce , Lin Kong reste un homme marié.
Il ne s'agirait pas de s'afficher aux côtés d'une autre femme; ce n'est pas seulement l'Autorité, c'est surtout la Tradition qui réprouverait une telle relation extra-conjugale, quand bien même le verbe "aimer" n'a plus été conjugué depuis belle lurette - à supposer qu'il l'ait été un jour !
Et puis ce serait la ruine de leurs carrières respectives de médecin et d'infirmière et de leur situation privilégiée qui leur permet au moins de manger tous les jours et de loger dans des dortoirs - unisexes cela va de soi - moins exigus que la moyenne.
Donc il faut obtenir le divorce, ce à quoi consent Shuyu mais à chaque fois que le juge lui demande de confirmer qu'elle n'aime plus son mari, elle craque, fond en larmes et le divorce est remis au plus tôt à l'année suivante.

La loi chinoise prévoit cependant que le divorce peut être obtenu unilatéralement après dix-huit ans de séparation.
Manna et Lin Kong vont-ils réellement devoir patienter tout ce temps pour enfin pouvoir s'étreindre, jauger s'ils se plaisent vraiment et finalement fonder une famille ?
Leur passion résistera-t-elle à cette longue attente ?

Ha Jin dissèque les sentiments d'amoureux soumis au poids des traditions, contrariés par les injonctions de l'Autorité, défiés par le temps qui passe impitoyablement.
Il a obtenu le National Book Award pour ce roman.

Millepages - Bruxelles - 65 ans - 16 mai 2015


Tribulations d’un couple chinois en Chine 5 étoiles

Ce roman de Ha Jin est assez plaisant.
Il décrit « la longue attente » d’un couple formé d’un médecin militaire et d’une collègue infirmière désireux de se marier dans le contexte de la Chine de l’après Mao. L’intérêt principal du livre réside dans la description de l’époque et des milieux dans lesquels évoluent ces personnages. Une Chine qui se cherche dans sa progression vers un capitalisme annoncé mais qui toutefois garde les contraintes, les préjugés, les rigueurs morales et les hypocrisies du régime communiste. De ce fait, le couple attend la possible union légale tout en se refusant à l’union des corps et de l’esprit durant de très longues années. Ce n’est qu’à l’aboutissement de la longue procédure de divorce d’avec sa première épouse, paysanne dévouée à la famille de l’époux, qu’ils obtiendront ce qu’ils ont attendu si longtemps. Mais le bonheur n’est pas au rendez-vous et le mariage consommé ne sera pas à la hauteur de l’attente.
Pour moi, les scènes d’intimité de ce roman ne sont pas toujours passionnantes (notamment dans la dernière partie) et j’ai préféré les allusions aux manques et aux errements du régime encore en place à travers un peuple en mutation vers le modernisme et la « prospérité ».

Ardeo - Flémalle - 77 ans - 7 septembre 2012


Une génération aliénée 8 étoiles

« Chaque été, Lin Kong retournait à Bourg-aux-Oies, son village natal, pour divorcer avec sa femme Shuyu. » Pas mal pour une première phrase? Et le reste est dans la même veine. Bien que la trame soit somme toute assez banale, ce roman nous tient en haleine d'un bout à l'autre. Et ceci tient sans doute aux personnages si bien dessinés.
Lin Kong a épousé Shuyu. En fait sa famille l’a contraint à l’épouser. Tous les deux sont très différents : cette femme est en quelque sorte une anachronisme dans la Chine des années 1960. Elle est une relique de l'époque des pieds bandés, ce dont Lin a honte, lui qui est médecin et moderne. Lin et Shuyu n’habitent pas ensemble : elle travaille aux champs et demeure à Bourg-aux-Oies sur la propriété paternelle, lui travaille en ville dans un hôpital militaire, à Muji, dans le Mandchourie. Ils ne se voient que 14 jours par année, durant l'été. Ils n'auront pour ainsi dire aucun rapport amoureux, si ce n’est pour faire un enfant. Lin s’accommode de son sort jusqu’au jour où il s’éprend d'une infirmière, Manna. Pour pouvoir vivre avec elle, il faudrait divorcer, d’où la première phrase du livre. Voilà, je n’en raconte pas plus.
Sous le couvert d’une histoire d'amour, ce roman raconte la Chine, de la Révolution culturelle jusqu'à la détente de ces dernières années. Et si on y regarde de plus près, la critique est mordante. Sans grands discours politico-sociaux, en nous décrivant très peu les structures du pouvoir, sinon leurs répercussions dans la vie de Lin et Manna, Ha Jin dresse un tableau désolant de la condition humaine dans la Chine de la seconde moitié du siècle dernier. La liberté individuelle est bafouée, les gens se sentent dépossédés et aliénés, le système favorise les tricheurs. Le personnage de Lin, ballotté entre la société traditionnelle et les attentes du régime, n'arrive plus à prendre la mesure de ses propres désirs, a perdu toute identité : c'est un fantoche que tout le monde manipule, coupé de son moi, coupé de sa famille, un impuissant qui n’arrête plus de se culpabiliser. Il n'est pas un être humain autonome. Malgré tout, il ne perd jamais la sympathie du lecteur. Manna va vivre autrement les malheurs qui l’assaillent : elle finit par se durcir, par s'aigrir, par détruire l’amour si fort qu'elle portait à Lin. Tous les deux ont le sentiment d’avoir raté leur vie.

Vigno - - - ans - 27 mai 2002