Le grand troupeau de Jean Giono

Le grand troupeau de Jean Giono

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Jules, le 11 février 2002 (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 7 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 161ème position).
Visites : 15 968  (depuis Novembre 2007)

Un très grand livre, une superbe écriture !

Oublions deux minutes que Giono n'est plus aussi lu qu’il y a deux dizaines d'années ! Il n'en reste pas moins vrai qu’il a écrit des livres exceptionnels ! Et celui-ci en est un !…
Dans ma mémoire, « Le grand troupeau » était un de ces livres sur la Provence, comme il a tant aimé en écrire… Et bien pas du tout !. Le grand troupeau et son berger, reproduits sur la couverture du livre de poche, pourraient vous induire en erreur.
Il est vrai que les premières pages du livre, saisissantes et belles, nous décrivent bien un grand troupeau, mené par trois hommes, s'approchant du village. La poussière qu’il déplace se voyait déjà de bien loin et quand il arrive enfin dans la côte, les habitants sont figés sur le bord de la route ! Il mettra une bonne journée à passer tout entier et à descendre vers la vallée.
D’emblée nous apprenons aussi que tous les jeunes hommes sont partis le matin par le train. Pour où ?… Pour la grande boucherie que sera la guerre 14-18. Giono va nous faire passer régulièrement de la guerre au village et à sa Provence éternelle. D'un côté la folie, de l’autre la nature avec ce qu'elle a de dur, de fort, de beau et de grand. En ce compris le désir des jeunes femmes pour ces hommes partis au loin. Un désir invincible, venant du fond de l’être, de la santé morale et physique.
Pour tenter d'apaiser ce désir, les jeunes femmes vont tout tenter : l’épuisement physique d’abord. Mais elles auront beau nourrir les bêtes, faucher les blés, marcher à ne plus en pouvoir, rien n’y fait !. « Pas même ce travail qui tue les nerfs. Pas même cette lourde fatigue videuse de tête. Quand elle est là cette fatigue, maintenant, quand on la sent peser dans le haut des cuisses. Ah ! Dieu, comment se défendre ? Et qu'est ce qu'on veut dominer ? Et de quoi on peut être maître avec seulement de la chair de femme ? On ne peut même pas renverser un garçon dans la paille sans perdre le sens.. Les flancs de Julia ont un ample roulement dans la marche. Cette rondeur qui est le milieu d’elle coule comme une vague de la mer. . c’est doux, c’est mûr comme la pêche qui tremble sous une abeille. »
Joseph, le mari de Julia est à la guerre, comme le tout jeune Olivier, l'amoureux de Madeleine, la soeur de Joseph. Et être à cette guerre c’est être sur une autre planète : celle de l’horreur sans nom, celle de l'acier vengeur, celle de l'aveuglement, du sang, de la mutilation, de la mort absurde ! Là est le vrai « Grand troupeau » : celui des hommes menés à la boucherie !
« Olivier criait. Il courait dans l’herbe et le feu. Il avait perdu son fusil. Il criait un long cri d'appel, toujours le même, à pleine bouche ronde. Ces grands coups de passe qui faisaient éclater la terre, cette fumée, ces éclairs, ces griffes chaudes qui déchiraient tout autour de lui, cet air roulé en mottes par les obus et qu’il recevait en plein ventre ; et, quoi faire contre du fer ?. Ca montait, ça gonflait ses joues, ça poussait des lèvres et il ouvrit sa bouche sur son hurlement d'homme seul qui recommençait. »
Et Giono de nous décrire la multitude des rats parcourant les cadavres humains jonchant la terre après l’assaut, ainsi que les corbeaux faisant leur travail de leur côté. Olivier va se retrouver au Mont Kemmel, pendant l’horrible bataille qui a si fortement marqué Erich-Maria Remarque du côté allemand.
Et soudain : « Puis ça revenait au silence, non pas au beau silence des bruits d’herbe, mais à ce silence épais et lourd, ce silence de dessus de couvercle, cet air étouffé entre la gorge d'eau morte, noyée, et les lourds nuages à gros muscles qui semblaient mouiller la lessive du monde. On ne voyait pas les nuages dans cette nuit. On les sentait, on les entendait passer et se tordre ; on en avait le poids sur les épaules et sur le coeur. »
Le style de Giono… Ah !… Pour avoir du style, il en avait !… Vous avez déjà pu vous en rendre compte. Et comme je viens d’entendre Philippe Djian le dire (BFM) : « Ce sont des auteurs comme Salinger, Cendrars et Céline qui m'ont appris le style. Céline, ce n'est que du travail et un travail hallucinant ! Faire croire que c'est un langage parlé, alors que c'est tout sauf cela ! Du travail, rien d'autre ! Mais il y a un avant Céline et un après Céline…» Toujours dixit Djian : « 90 pour cent des auteurs français actuels, ce n'est que du scolaire ! Cela part en miette dès qu’on gratte un peu ! Je ne ferai jamais du Céline ou du Cendrars, mais je mets la barre très haut et j'essaye d’arriver le plus près possible. On ne fait pas du style comme Monsieur Jourdain faisait des vers… » Mais on me dira « élitiste »…Tant pis ! A chacun son plaisir !
Lisez ce livre et vous êtes certain de ne pas lire ce que 90 pour cent des auteurs français écrivent aujourd’hui (selon Djian) !

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Les éditions

  • Le Grand troupeau [Texte imprimé] Jean Giono
    de Giono, Jean
    Gallimard / Collection Folio
    ISBN : 9782070367603 ; 7,50 € ; 09/05/1972 ; 276 p. ; Poche
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Les livres liés

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Un roman pacifiste

6 étoiles

Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans) - 23 juin 2019

Ce roman livre de belles pages sur les atrocités de la guerre, les raisons de l'éviter et d'aimer sa région d'origine. La simplicité du style et du mode de description des scènes touchent, le message fondamental paraissant juste et humaniste, d'autant plus que cette guerre n'a été fondée sur rien, si ce n'est l'antagonisme des Etats-Nations. L'auteur renouvelle un hymne à sa Provence natale, plutôt dans son versant rural.
Néanmoins, son ambivalence pendant le second conflit mondial dévoie quelque peu le message, même s'il faut séparer la vie de l'auteur et son oeuvre. Le contexte personnel laisse un goût amer, et, de manière plus constructive, montre que le propos du principe pacifiste, qui reste fondamental en principe, détient ses limites.

Entre le front et l'arrière

6 étoiles

Critique de Fabrice (, Inscrit le 22 novembre 2009, 39 ans) - 28 juin 2014

Le roman s'ouvre sur la procession interminable d'un troupeau de brebis descendant de la montagne, dans la chaleur suffocante d'août 1914. La France est en guerre, et les bergers doivent quitter les montagnes de Provence pour gagner la zone du front.
L'auteur nous amène ensuite alternativement de "l'arrière" au front. Au front, on souffre, on se bat, on s'épuise en offensives incessantes plus désastreuses les unes que les autres. On vit comme des rats et au milieu des rats, on se réfugie dans des trous d'obus pour échapper à la mitraille, on croise des soldats devenus fous qui dialoguent avec eux-mêmes, on reçoit par giclées le sang et les tripes de ses camarades. Et on finit parfois par errer seul ou presque sur des champs de bataille où il n'y a plus âme qui vive, comme au Mont Kemmel. C'est le sort d'Olivier et de Joseph.
A l'arrière, on angoisse. On guette le maire ou les gendarmes qui viennent annoncer la mauvaise nouvelle dans les foyers et on ressent un lâche soulagement lorsqu'ils ne s'arrêtent pas devant sa propre maison. On assiste à des veillées funèbres sans mort. Vieillards et femmes "tiennent les maisons" et remplacent les hommes aux travaux des champs, comme le font Julia, Madeleine et Jérôme. On croise des déserteurs dans la montagne. On essaie de contenir comme on peut les pulsions du corps et du désir.
Giono est sans doute le premier à avoir ainsi voulu brosser un tableau partagé de cette guerre, entre le front et l'arrière. Son écriture n'est pas aussi limpide que dans la "trilogie de Pan". On a le sentiment que ce roman a été difficile à accoucher de la part d'un ancien poilu. J'avoue qu'il m'a fallu plusieurs dizaines de pages pour rentrer complètement dedans. "Le grand troupeau" n'en demeure pas moins une belle oeuvre, et un vibrant plaidoyer pour la paix.

Naître sous le soleil de Provence et mourir dans les tranchées de la Somme

8 étoiles

Critique de Chene (Tours, Inscrit le 8 juillet 2009, 54 ans) - 7 janvier 2012

La guerre de 14-18 a profondément marqué l’écrivain (et ça se comprend). Jean Giono a été mobilisé et cette guerre lui a pris son ami d’enfance, Louis David habitant de Manosque tout comme lui.

Le troupeau de moutons qui descend dans la vallée au début du livre évoque les troupeaux de soldats qui marchent vers l’apocalypse. D’ailleurs, le passage du troupeau a véritablement eu lieu à Manosque au lendemain de la mobilisation. C’est un livre différent des Giono habituels. Jean Giono ne l’aimait pas. Il a eu du mal à l’écrire. Je le trouve personnellement un peu décousu. Il y a des allers-retours entre le front et la vie dans les campagnes. Plus précisément entre la Provence, le plateau de Valensole et le front dans le Nord. Il arrive qu'on s’y perde avec les personnages. Cependant cela reste un excellent roman. L’offensive Allemande du Kemmel dans les dernières pages, dans laquelle on suit une compagnie française à l’assaut, est magistralement mise en scène. On sent le vécu.

Ce qui est bien retracé aussi, c’est la vie dans les campagnes pendant l’absence des hommes. Les vieux amènent les jeunes hommes à la gare. Les femmes se retrouvent seules avec les vieux papés pour faire les récoltes dans les champs et pour s’occuper des bêtes. Elles attendent tous les jours avec angoisse les lettres de leurs hommes. Lorsque les hommes reviennent de la guerre, quand ils reviennent, ils reviennent mutilés. Ce livre nous rappelle que la paysannerie française paya un très lourd tribu à la guerre de 14-18.
Ce qui est parfois déroutant, c’est que Giono suggère plutôt qu'il ne décrit. Ainsi, Joseph dans les tranchés est touché et se tient le bras. Mais rien n’est dit quant à cette blessure. On retrouve bien plus tard Joseph rentrant dans son foyer avec un bras en moins.
Je dirais qu'il faut lire ce livre d’un seul coup, sans s’arrêter, si on a le temps bien sûr, faute de quoi on risque de perdre le fil. Mais qui a le temps ?

la guerre, la vraie

10 étoiles

Critique de Matru (cagnes sur mer, Inscrit le 27 mars 2006, 50 ans) - 18 octobre 2008

GIONO a participé à cette boucherie qu'a été la guerre de 14, comme mon aïeul, il en a réchappé, et comme lui, il en a acquis une certaine sagesse,un panthéisme, comme disent les instruits.
Je garde en mémoire la scène où les oiseaux se disputent les restes des enfants, d'une intensité inégalée.
Après ça, on a reproché à Giono son anti-militarisme, il a même été mis au ban des auteurs en 45', pourquoi?
lisez Giono, sûrement l'un des meilleurs auteurs français du 20ème siècle.

Magnifique !

10 étoiles

Critique de JEANLEBLEU (Orange, Inscrit le 6 mars 2005, 56 ans) - 9 avril 2005

Un grand livre en effet qui est un réquisitoire implacable contre la guerre pour ce qu'elle représente de barbarie inutile pour des soldats qui, en plus, ne savent pas, pour la plupart, pour quelles raisons ils sont en guerre. Ce roman double (la vie dans la campagne provençale sans les hommes et la vie des hommes à la guerre) offre de nombreux moments d'anthologie.
Giono nous offre un florilège de son style poétique et de son humanisme.
Un chef d'oeuvre, vraiment.

Réquisitoire contre la guerre

9 étoiles

Critique de Lolita (Bormes les mimosas, Inscrite le 11 décembre 2001, 38 ans) - 27 décembre 2003

Une oeuvre sublime qui décrit la guerre dans toute son horreur. On passe du front avec Olivier et Joseph, à l'arrière avec les femmes qui attendent le retour de leur mari et se tuent à la tâche des travaux de la ferme. Comme par exemple, Madeleine enceinte de Olivier, et Julia qui apprend que Joseph a perdu son bras.
Une oeuvre forte et marquante.
Voici un extrait troublant, mais réaliste lorsque les rats arrivent pour manger les cadavres : "De temps en temps ils se passaient la patte dans les moustaches pour se faire propres. Pour les yeux, ils les sortaient à petits coups de griffes, et ils léchaient le trou des paupières, puis le mordaient dans l'oeil, comme dans un petit oeuf, et ils le mâchaient doucement, la bouche de côté en humant le jus."

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