La cave
de Thomas Bernhard

critiqué par CC.RIDER, le 29 juillet 2010
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Du bonheur d'être épicier
A Salzbourg, peu de temps après la seconde guerre mondiale, Thomas Bernhard, quinze ans, décide de quitter le lycée, qu'il estime être une machine à décérébrer les gens, pour entrer en apprentissage dans l'épicerie de Monsieur Podlaha. Il devra nettoyer la cave qui sert d'entrepôt, se coltiner des sacs de farine, semoule ou pommes de terre de quatre vingt dix kilos et servir les clients en gardant toujours le sourire. Il accepte toutes les tâches de bon coeur. Rien ne le rebute car il se sent utile et il rencontre des gens, mais quels gens... tous les plus miséreux, le rebut de la société perdu dans l'alcoolisme, le suicide, la violence et le crime.
Un livre de souvenirs d'un période fort sombre de l'histoire autrichienne. Le pays est occupé par les vainqueurs, la nourriture est rationnée, les filles se prostituent pour des chewing-gums, des bas et des plaques de chocolat, la famille de l'auteur s'entasse à neuf dans trois pièces autour d'un chef de famille suicidaire qui veut mener à bien l'oeuvre de sa vie : écrire un bouquin de 1500 pages et Thomas se réalise dans son boulot de commis-épicier. Un témoignage intéressant mais rendu difficile d'accès par un style ampoulé, filandreux qui se développe en longues périodes tournant en boucles. Les phrases d'une page et demi ne sont pas rares, les répétitions sont si nombreuses que cela tourne à l'obsessionnel. Cela peut finir par agacer.
Un virage dans la jeunesse de Thomas Bernhard 9 étoiles

Dans "La Cave", Thomas Bernhard évoque une période de sa jeunesse où il a fait un choix déterminant en allant à contre-courant. Il abandonne le lycée pour travailler dans un magasin, la cave, dans un quartier très populaire, redouté par de nombreux habitants de Salzbourg. Le jeune Thomas Bernhard s'est épanoui dans cet univers et a échappé à un carcan scolaire auquel il refusait de se soumettre.

Thomas Bernhard surprend toujours son lecteur et n'est pas un mouton de Panurge. Aller dans le sens opposé quel que soit le contexte ne lui pose aucun problème. Et il ose affirmer clairement son point de vue. Ce quartier périphérique, ce magasin souterrain où on ne fait que porter des marchandises devient un lieu de sérénité. L'appartement familial dans lequel ils vivent à neuf devient en quelque sorte une autre cave, cette fois-ci étouffante et sujette à des tensions. Ce récit semble contenir plusieurs caves, certaines pénibles, une autre vue comme un tremplin à sa vie d'adulte.

Thomas Bernhard n'évoque pas que l'apprentissage professionnel, il parle aussi de son goût pour la musique et des cours de chant lyrique qu'il a suivis sous l'impulsion de son grand-père.

Thomas Bernhard, c'est aussi et surtout un ton, une franchise touchante, un pourfendeur de la bien-pensance. C'est un phrasé particulier avec des phrases redondantes. C'est une discussion avec son lecteur en toute sincérité. C'est aussi un seul paragraphe que constitue le roman et qui impose le tempo. C'est un visage que l'Autriche abhorre tout en étant consciente que cet auteur est réputé dans le monde entier.

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 19 janvier 2019


Tout est égal... 10 étoiles

Une fois surmonté le style particulier de l’auteur, on accède à l’univers d’un homme profondément désabusé. Thomas Bernhard raconte ici ses années d’apprentissage dans une boutique d’alimentation d’un quartier défavorisé de Salzbourg. Il a quitté le lycée qu’il exècre pour se frotter au concret et cela lui est fort salutaire. Il découvre la dureté du travail manuel d’un commis d’épicerie mais, d’un autre côté, il apprend d’un maître hors pair en la personne de monsieur Podhala, le propriétaire. Celui-ci est dur mais sait être aussi compatissant et juste envers ses employés et ses clients. Le jeune garçon voit donc défiler dans la boutique les pauvres gens qui composent la clientèle habituelle du magasin. Il découvre la sordide existence de ces personnes considérées comme de la racaille par la bourgeoisie de Salzbourg et condamnées aux travaux les plus bas et les plus vils. L’alcoolisme et la violence rongent cette population de morts vivants sans aucun espoir d’améliorer leur triste sort. Ceux qui essaient de s’en sortir sont vite confrontés à l’échec et réintègrent le quartier pour y finir, très souvent, d’une façon misérable. Pourtant, le jeune commis trouve dans cet emploi son salut. Il y est heureux et la joie l’accompagne dans tous les durs travaux exigés de lui par son patron. Ce sont les années d’après-guerre et la misère affecte une bonne partie de la population. La faim est toujours présente et les Américains profitent de l’indigence des familles pour faire des plus jolies filles leurs petites amies. Celles-ci espèrent sortir de leur condition en s’acoquinant avec eux.

Thomas Bernhard excelle dans l’art de raconter sa vie et les conditions misérables dans lesquelles sa famille réussissait à survivre à cette époque troublée et chaotique. Il dépeint son petit univers avec une lucidité foudroyante. C’est un livre terrible, d’un réalisme et d’une dureté parfois presque insoutenables mais la richesse du propos et la profondeur de la pensée de l’auteur en font un chef-d’œuvre et il me tarde de lire la suite.

« La nature ne connaît pas de différences de valeurs. Chaque nouvelle journée, ce ne sont toujours que des hommes avec toutes leurs faiblesses, leur crasse physique et intellectuelle. Peu importe si quelqu’un désespère avec son marteau piqueur ou devant sa machine à écrire. Seules les théories mutilent ce qui est pourtant si clair, les philosophies et les sciences en totalité, qui s’opposent à la clarté avec leurs connaissances inutilisables. On a presque tout parcouru, ce qui viendra encore ne surprendra pas parce qu’on a réfléchi à toutes les possibilités. Celui qui a fait tant de choses de travers, qui a irrité, dérangé, détruit et anéanti, s’est tourmenté, a étudié, s’est lui-même liquidé, s’est à moitié tué, s’est trompé, s’est gêné et de nouveau ne s’est pas gêné, se trompera dans l’avenir, fera beaucoup de choses de travers, irritera, dérangera, détruira et anéantira, se tourmentera, étudiera, se liquidera, se tuera à moitié et, jusqu’à la fin, continuera à faire tout cela. Mais en fin de compte, tout est égal. »

Dirlandaise - Québec - 69 ans - 10 septembre 2012