Musée Magritte Museum : Guide officiel du musée
de Collectif

critiqué par Jlc, le 15 août 2010
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Allumer la vie
Dans une Belgique qui peut paraître paradoxale aux yeux d’un ami étranger, il est un lieu qui l’est encore davantage. Lieu de mémoire mais aussi de mouvement, mystérieux et joyeux, feutré et révolutionnaire, le « Musée Magritte Museum » est une réussite exceptionnelle. Son guide officiel (y en aurait-il d’officieux ?), loin de n’être qu’un album de reproductions, est un très beau livre d’art, écrit avec beaucoup d’intelligence pour nous faire comprendre, sans élitisme pompeux ni verbiage d’initiés, la vie et l’œuvre de cet immense artiste. Qui plus est ce guide (Je ne suis pas certain que Magritte aurait aimé ce terme) est vendu au prix de 15 euros ce qui est surprenant pour un ouvrage de cette qualité. Peut-être faut-il ici, une fois n’est pas coutume, remercier les mécènes qui, nombreux, ont contribué à sa réalisation ?

Certes rien ne remplace l’atmosphère du musée avec la voix de Magritte, le talent de sa femme Georgette pour raconter, avec beaucoup d’humour, leur escapade parisienne, les objets, la présence amicale de tous ceux qui ont suivi Magritte tout au long de sa vie, l’expérience du « cinématographe » et surtout les tableaux originaux et leur poésie mystérieuse. Ce guide sait raconter Magritte, l’homme, le peintre, le poète sans jamais tomber dans l’hagiographie Il évoque avec franchise la « période vache » qui désarçonna ses admirateurs ou « la phase industrielle » de la fin de sa vie quand il revient à « la peinture d’antan » selon le souhait de Georgette et ne sait pas toujours résister à son marchand américain pour qui il peint plus ce que le marché demande que ce qu’il voudrait encore exprimer.

Ce livre de mémoire vive évoque avec justesse cette vraie révolution que fut, au vingtième siècle, le surréalisme dont Magritte fut un des artistes majeurs tout en restant en marge du mouvement « officiel ». Il raconte aussi l’amour de sa vie, le rôle de ses nombreux amis, « la bande à Magritte », dont certains ont trouvé le titre de ses œuvres, les revues auxquelles il participe, plus éphémères les unes que les autres. Il explique autant qu’on puisse le faire les idées, dérangeantes pour beaucoup, qu’il développa toute sa vie comme « L’esthétique n’est dans l’œuvre qu’un accessoire. Seule l’idée compte ». Il refusa toute interprétation symbolique même si beaucoup s’y sont risqués. Alors lançons nous et, puisque nous sommes sur CL regardons « La lecture défendue » qui date de 1936 et dont vous pouvez trouver des reproductions, souvent mauvaises hélas, sur le web. Une pièce vide, sans issue, « Sirène » écrit sur le sol, le i étant un doigt, un escalier qui monte contre un mur sans porte. Les exégètes y ont vu un hommage à son amie Irène Harmoir, le i renvoyant à la mise à l’index d’un livre d’Aragon « Le con d’Irène » qui circulait alors sous le manteau et qui est aujourd’hui publié dans « La Pléiade » !! « Désir et frustration ». J’y vois personnellement la tristesse d’un monde sans livre, un monde qui ne débouche sur rien, aux couleurs ternes et un doigt inutile qui ne peut plus tourner les pages. Une prison ou une dictature. Ce qui veut dire que chacun peut avoir une lecture personnelle d’un tableau.

Ce livre, rythmé par des formules du peintre montre bien son travail, ses doutes mais aussi sa ténacité voire son entêtement, son goût de la provocation, son originalité, son engagement – « Mon art n’est valable que pour autant qu’il s’oppose à l’idéologie bourgeoise au nom de laquelle on éteint la vie ». Cet homme, peut-être chaleureux et timide, qui « déteste la résignation, la patience et tous les beaux sentiments obligatoires » était bien, sous des aspects petit-bourgeois, un révolutionnaire. C’est pourquoi il faut dépasser, et ce guide y contribue, l’image stéréotypée d’un Magritte réduit au rôle gentillet d’illustrateur de cartes de vœux ou autres fariboles de marchand. En se copiant et se répétant n’a-t-il point inventé un nouvel art de peindre qui sera repris ensuite par Andy Warhol et quelques autres ?

Si pour reprendre ce qu’a dit un jour Jean-Luc Outers, le Belge a l’esprit frondeur, l’imagination sans limite, le sens de la dérision, la liberté de pensée et de parole, alors oui Magritte est profondément belge, un Belge qui a su par son talent et son imaginaire atteindre l’universel et allumer la vie, faute de pouvoir y trouver un sens ou la changer.

Contrairement à ce qu’on dit un peu partout, René Magritte n’est pas mort le 15 août 1967. Son œuvre est vivante et vivifiante. Ce musée est sa maison, pas son tombeau.

Alors allez vite visiter cette maison chaleureuse et…n’oubliez pas le guide.
Un dépaysement doux-amer assez fort en réflexions 10 étoiles

René Magritte est l'un des surréalistes qui manie le mieux les détails les plus rassurants de la vie quotidienne pour mieux interroger la spectatrice et le spectateur. Derrière la douceur des thèmes et sujets abordés, des couleurs et des formes souvent arrondies, se cachent à peine des réflexions sur le rêve, les clichés, les idées reçues sur la place des choses. Il livre à son oeuvre une ironie aimable, distanciée et forte à la fois sur les choses, outre la période "vache" qui a suivi son "excommunication" par André Breton, qui lui a permis de renouer avec ses débuts fauvistes.

La visite du musée Magritte à Bruxelles, pendant surréaliste du musée des Beaux-arts, m'a permis de découvrir un lieu atypique, quelque peu mystérieux, ce qui lui va bien, sur trois niveaux, ainsi que l'aspect protéiforme de son oeuvre, beaucoup plus diverse que ce que j'avais cru : il a été photographe, comme Man Ray, qu'il a côtoyé, il a beaucoup conçu d'affiches, certaines répondant à des commandes, notamment en périodes de vaches maigres financières ; ses débuts ont été fauvistes et même cubistes. Cet artiste à la sensibilité indéniable s'est donc avéré complet.

Imaginatif, sensible et ironique tout à la fois, en effet, cet artiste a incarné une facette quelque peu différenciée du mouvement surréaliste, qui a considérablement marqué le XXème siècle.
Ce livre-rétrospective de ce musée qui lui est dédié est donc important : il est aéré et agréable ; les explications y sont synthétiques et didactiques, tout en étant complètes. Il est donc assez vivement à recommander.

Veneziano - Paris - 47 ans - 6 octobre 2012