Jérusalem
de Gonçalo M. Tavares

critiqué par Débézed, le 20 août 2010
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
« ... du fou individuel à la folie du mal. »
« Quatre heures du matin le 29 mai, et Mylia n’arrive pas à dormir. » Elle se lève et sort en ville comme les cinq autres principaux protagonistes de cette histoire qui hantent les rues de cette ville qui pourrait être Jérusalem, mais on ne sait, au petit matin comme si la folie qui a traversé ou effleuré leur vie à un certain moment, les prenait par la main pour que, peut-être, ils se rencontrent. Il y a, là, Ernst celui que Mylia a rencontré quand elle était internée et qu’elle a appelé juste avant de s’évanouir car Mylia est malade, elle sait qu’il ne lui reste que peu à vivre. Il y a aussi Theodor son ex mari, médecin, chercheur, qui veut mettre l’horreur en équation pour la mesurer, la quantifier et évaluer son évolution, qui est à la recherche d’une prostituée qu’il rencontre quand il croise Hanna. Mais celle-ci n’a pas le temps de satisfaire son besoin, elle veut voir Hinnerk, son souteneur qui a ramené la peur et une arme de la guerre et qui subit des pulsions de violence. Mais Hinnerk est, lui aussi, sorti et il a rencontré Kaas, le fils, un peu simple et handicapé, né de la relation adultérine de Mylia et Ernst à l’hospice qui est élevé par Theodor l’ex mari de Mylia.

L’auteur promène ces personnages, un peu en marge de la « norme », dans les rues de la ville en quête de leurs fantasmes ou à la recherche d’un moyen d’assouvir les pulsions qui les étreignent. Et, au cours de ces errances, il reconstitue le parcours de ces individus pour essayer de nous faire comprendre comment chacun est arrivé à ce point de son histoire. A travers de courts chapitres, il nous invite à reconstruire la mosaïque de ce roman en rassemblant les pièces qu’il a dispersées au cours de cette déambulation nocturne.

Cette mosaïque recompose en fait un discours sur la folie, la folie individuelle et la folie collective que le médecin essaie de mesurer, sur les contours de la folie, ses origines, ses limites, ses manifestations, son traitement, sa rémission, sa durée, perpétuelle ou temporaire. Mais in fine ce qui ressort de cette réflexion, c’est plutôt le discours larvé sur la folie elle-même qui peut-être le lot de chacun, ou de chaque société, et que la folie apparente n’est en fait qu’une expression de la folie que nous subissons tous. Les fous n’étant que ceux qui sont capables de voir les choses différemment des autres, avec un peu plus d’acuité peut-être. Et cette réflexion entraine l’auteur à s’interroger sur la culpabilité individuelle et collective que nous avons envers les fous pour les traitements que nous leur infligeons et sur notre culpabilité collective pour les horreurs que nous commettons. Mais, notre responsabilité n’est pas seule en cause car le hasard et la fatalité se chargent bien de faire se rencontrer les héros de cette histoire.

Dans ce roman qui s’enroule sur lui-même, Tavares que certains présentent déjà comme le fils spirituel de Saramago, et peut-être aussi le petit frère de Lobo Antunes, nous entraine, avec cette dissertation sur la folie, aux confins de la vie et de la mort, dans cette marge où les fous, comme Mylia, peuvent : « Apparaître parce qu’on veut disparaître. Apparaître parce qu’on veut faire apparaître autre chose. » Mais seuls eux peuvent comprendre ceci et ceux qui sont restés dans la norme édictée par la société se demanderont encore longtemps : « A quoi un individu doit-il penser ? Vers où un individu doit-il diriger sa pensée ? » Je crois que Janet Frame a une petite idée sur la question…