Passages de jeunesse
de Jens Christian Grøndahl, Alain Gnaedig (Traduction)

critiqué par Jlc, le 3 septembre 2010
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Histoire d’un exil intérieur
On le sait la jeunesse n’est qu’un passage et celui-ci est irréversible. Passage difficile, incertain, parfois douloureux qui va du monde avant nous à l’age d’homme. Jens Christian Grondahl feuillette avec nous un album de photos dont certaines sont insérées dans le livre. Cette promenade dans sa jeunesse s’achève quand, au milieu des années quatre-vingt, il publie à vingt cinq ans son premier roman, se marie et devient père de jumeaux. Pourtant ce récit s’ouvre et se clôt sur deux moments essentiels qui sont « hors champ » en quelque sorte mais qui eux aussi sont autant de passages, l’un de libération, l’autre de silence.

Tout commence de façon follement romantique : Décembre 1999, un train dans la nuit qui va de Venise à Trieste, une belle femme brune. Ils se connaissent depuis trois mois à peine, vivent un bonheur à vous chavirer le coeur et veulent se marier dans cette ville inconnue où ils auront du mal à trouver des « témoins improvisés ».
Tout finit dans la nuit danoise d’une fin d’été au bord de la mer, dix ans plus tard, avec la mort d’un ami évoquée en quelques pages d’une sensibilité, d’une émotion et d’un chagrin discret à vous bouleverser le cœur.
Pourquoi avoir choisi ces deux nuits ? Peut-être parce que la première est celle d’un avènement, la fin de « l’exil intérieur » dans lequel jusque là il a toujours vécu où l’inquiétude et la culpabilité altèrent les moments de passion ou de tendresse, la fin de cette interrogation permanente sur l’utilité de sa présence au monde. Peut-être parce que la seconde est une vraie déchirure, la perte d’un ami qui le renverrait à une solitude retrouvée s’il n’y avait à côté de lui cette femme, cet amour de Trieste, qui donne sens à sa vie et ses livres.

Jens Christian Grondahl a retrouvé ces photos, témoins de ses parents avant lui ou lorsqu’il est tout petit mais l’album sera trop tôt interrompu par le départ de sa mère. « Le malheur a pris le dessus mais il n’avait pas de visage. » C’est au moment où on découvre la maladie de sa sœur dont son père va s’occuper avec un dévouement qualifié par tous d’admirable que sa mère abdique et se dérobe, incapable de comprendre la tendresse maternelle dont sa fille avait besoin. Peut-être « trop fille pour se comporter en mère » elle qui a toujours souffert du « mépris distant » d’une mère, artiste peintre reconnue, pour qui elle fut toujours « imparfaite ». Cette fuite va permettre à cette femme déboussolée de devenir extravertie et d’entreprendre une carrière de photographe appréciée. Avant il y eut une enfance paisible entre des parents aimants qui savent cacher ce que les enfants ne doivent pas savoir et qui ne prendront aucune part à la contestation des années soixante dix. « Ils n’avaient pas été choyés et sûrs d’eux pour se révolter. La révolution était une partie de campagne réservée aux enfants de la classe moyenne aisée. Mes parents étaient tous deux dotés de la politesse et du respect de l’autorité des gens modestes ».

Livre d’apprentissage, « Passages de jeunesse » raconte les doutes, la vie un peu terne de ce jeune homme de bonne famille, comme on dit. Il commence des études de philosophie qu’il interrompt pour voyager et le sud, le soleil en Espagne, en Italie puis en Israël seront autant de dépaysements, d’expériences qu’on retrouvera plus tard dans ses romans. Apprentissage amoureux aussi et il a de très jolis mots pour esquisser le portrait de ces jeunes femmes qui vont le fasciner. Apprentissage encore avec un passage à l’Ecole du Cinéma de Copenhague - ce qui nous vaut un croquis mordant du cinéaste Lars (von) Trier - qu’il quitte quand il n’en a plus envie mais qui a été en fait le passage qui lui permet de trouver sa voie, être écrivain.

On reconnaît souvent « sa petite musique » dans certaines pages et pourtant le livre refermé on reste un peu déçu, surtout quand on sait les qualités littéraires de l’auteur, un des meilleurs romanciers européens actuels. Est-ce du au fait qu’il s’agirait d’une commande de son éditeur français ? Ou bien, qu’ici il ne peut se réfugier derrière la fiction pour masquer sa pudeur ? Est-ce parce qu’il a eu un passage à l’age d’homme sans grand évènement dramatique, malgré le départ de sa mère mais qu’il reverra souvent après ? On est partagé devant tout à la fois une vie un peu fade dans un Danemark vitrine d’un bonheur aseptisé et un besoin d’ailleurs « Pour moi, l’imagination ne sert pas à inventer d’autres mondes. Imaginer c’est voir le monde, le voir plus nettement en même temps que je m’imagine être un autre ailleurs. » Dans « Passages de jeunesse », Grondahl est trop près et de lui et de son monde. Il s’en protège en ne fendant pas l’armure ou alors si rarement et c’est dommage. Mais bien sûr ce n’est que mon avis.