Marin mon coeur de Eugène Savitzkaya
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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«Roman en mille chapitres dont les neuf dixièmes sont perdus».
Eugène Savitzkaya. Né à Liège en 1955. Mère russe, père polonais. Des déracinés. Il porte un nom en «a», un nom de femme, le nom de sa mère, suite à une erreur de l’état civil.
L'enfance dans une ferme, quelque part en Hesbaye. La mère qui raconte des histoires, qui dit des poèmes du pays natal ; le père qui meurt de la silicose ; les voisins qui ne fraient pas avec ces étrangers qui ne parlent même pas le français ; et puis la nature, l’odeur des étables, la densité de la boue, la couleur des fruits, le croquant des pommes… A six ans, l’entrée à l'école primaire. A six ans, l’apprentissage du français. Onze ans plus tard, Eugène Savitzkaya reçoit le premier prix du concours «Liège Jeunes poètes»… A dix-sept ans, alors que d'autres en sont encore aux sonnets parnassiens ou aux délires rimbaldiens, il a déjà SA langue. Il a déjà tout.
Un poème de cette époque, publié dans « Quetzalcoatl », une revue liégeoise que dirigeaient Maurice Etienne et Lionel Rombouts :
« Le coq fendu entre jour et nuit, entre le front et la lampe, sur un billot mutilé comme un vieux cheval, comme un vieux verrou-guêpier, sur le billot où perle la rivière ou le fleuve au coeur sous ton manteau.
Le coq disjoint par un levier de fer entre la porte et la cheminée. »
Poète, Savitzkaya le restera. Toute sa vie. Un poète visionnaire et précis. Un surréaliste qui croit comme les classiques qu'il est un mot pour chaque chose, qu'il faut trouver ce mot et aucun autre. Un poète qui, toute sa vie, aura «fait semblant de faire du roman», «usé de ruse» pour être publié, en tant que «romancier» (!) aux prestigieuses éditions de Minuit. Lui qui déclarait au cours d'une récente rencontre : «Le roman, en gros, ne m’intéresse pas spécialement.» Un poète qui sera devenu écrivain pour ne pas finir comme son père : « Je ne voulais pas donner mon corps à l'industrie. Un par famille, c’est largement suffisant. » Un poète que j’ai vu quasiment supplié par madame Dolorès Oscari de participer à son émission «Si j'ose écrire» et qui s’est retranché dans un refus catégorique : «Je hais la télévision. Je hais ce qu’elle est devenue quand je pense à ce qu’elle aurait pu être.»
Dans «Marin mon coeur», Savitzkaïa trace une centaine d’instantanés en quelque quatre-vingts pages aérées. Une centaine de chapitres parmi un millier, parmi un million. C'est que le père regarde ici son jeune enfant, son petit Marin, son nouvel humain grandir, regarder, s'émerveiller, se heurter aux choses et aux êtres. A-t-on jamais écrit plus beau livre sur la petite enfance ? Personnellement, je n’en connais pas. Juste quelques-uns de ces instantanés, si vous le permettez, sans choisir, presque au hasard :
«La première fois que je le vis, il n'avait encore expiré, il était pâle et bleu comme après un effort surhumain, une grande frayeur ou un chagrin ; il serrait dans les poings, malgré sa fatigue, la moiteur vitale ; il avait l’étrangeté de l'axolotl en dépit de sa forme indéniablement familière. On me dit qu'il avait résolument, pour se frayer un passage vers la lumière, refusé de regarder vers le sol, que, résolument, il avait renversé sa tête en direction de la lumière même, vers le ciel. Quelques secondes après il expirait, c'est-à-dire qu'il faisait de la place dans son corps pour accueillir l'air souverain.»
«Marin connaît la grande et la petite tristesse. La première ne peut se résoudre. La deuxième ne se résout que par le bain de larmes. Le bain de larmes vivifie, lave les entrailles et promet une grande clarté.»
«Ce jour, deux ou trois janvier, le géant a déshabillé le nain et l'a plongé dans l'eau tiède afin de le soumettre aux différents principes aquatiques. Mais les réactions du nain ne furent pas les réactions attendues. Au contact de l'eau, sa bouche s'ouvrit, montrant que l'eau lui était aussi familière que l'air. Au contact de l'eau, il renversa la tête afin de regarder le ciel sous le meilleur angle possible, de bas en haut, montrant qu'il connaissait cette couche bien mieux que son lit. Puis il se retourna sur le ventre et, approchant ses lèvres de la surface, il passa dans l'autre élément aussi aisément qu'on enjambe une clôture de deux centimètres de hauteur.»
« Marin mon coeur », d'Eugène Savitzkaya. Attention : chef-d'œuvre.
Les éditions
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Marin mon cœur [Texte imprimé] Eugène Savitzkaya
de Savitzkaya, Eugène
les Éditions de Minuit
ISBN : 9782707314161 ; 10,15 € ; 28/02/1998 ; 91 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (6)
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Trop craquant...
Critique de Nathafi (SAINT-SOUPLET, Inscrite le 20 avril 2011, 57 ans) - 11 août 2015
Adorable, tout simplement, un cocon, de la ouate, la poésie d'Eugène Savitzkaya s'attendrit face à son petit homme, qui vit ses premières expériences plus ou moins fâcheuses. Les cinq sens de l'enfant qui s'éveille au monde, ses premiers pas dans la vie, les barrières que pose le géant pour le protéger, que d'amour dans ces pages, que de délicatesse. L'auteur s'est mis dans la peau de son bébé pour nous révéler tous ses secrets, c'est fabuleux !
Point de manque d'objectivité, j'avoue être charmée par ce Poète, là je trouve que c'est un coup de Maître et un très bel hommage à son petit...
Jamais inerte,car le renouvellement vaut mieux que l'inerte possession
Critique de Deashelle (Tervuren, Inscrite le 22 décembre 2009, 15 ans) - 6 mars 2010
Voici de merveilleux instantanés poétiques sur l'âge que tous nous oublions, mais qui détermine tout. Quelle récolte de moments fabuleux! Voici un "tout se joue avant 2 ans" plein de musique verbale, de mouvement, de rythme, d'impromptus, de mots magiques, groseilles plus que framboises, à cause de la lumière qui y transparaît.
Le petit d'homme découvre la jungle du monde à partir des premières impressions sur ses rétines curieuses, dans sa bouche goulue, par ses narines dilatées, par ses oreilles aux aguets. Défilent les objets, les matières, le paradis du jardin, et son grand ami, le géant qui guide ses premiers pas dans la vie. Vie sublimée... pour l'éternité? Description en mille éclats de miroir, d'une nouvelle genèse.
Il faut dire la réussite absolue de ces images inédites, mouvantes, générées et pour toujours imprimées dans le cerveau de cet enfant de tous les possibles. Déjà celui-ci est amoureux de tous les mouvements, de la gravitation en particulier, de la force centrifuge. Rien n'est dit, sur un carrousel, il recrée le monde: "désormais, il n'y aura plus de points cardinaux, ni de sens au vent. Ne subsiste que le mouvement giratoire étirant et déchiquetant les sphères. Il n'y a plus qu'un pôle unique d'où tout est parti et où tout aboutit".
Le géant observe, ravi, et laisse sa main écrire le beau livre d'images en mots, toutes, suspendues par et avec amour, jamais inertes.
Du bel usage de la langue
Critique de Donatien (vilvorde, Inscrit le 14 août 2004, 81 ans) - 2 septembre 2009
Cette relecture tombe à pic! L'intérêt de l'orthographe et du respect de ses règles fait l'objet d'un forum actuellement. Je conseille la lecture lente de ce livre de Savitzkaya pour faire l'expérience d'une langue riche et contrôlée par le poète, pour l'efficacité de la communication des émotions devant l'arrivée du petit humain.
Du grand art dans l'utilisation de mots simples afin de traduire la puissance et la beauté des émotions devant le miracle de la vie!
De plus la bio de l'écrivain est inattaquable . De parents immigrés et de milieu modeste, Savitzkaya a pu acquérir et travailler cette langue superbe.
A lire et relire.
Superbe Savitzkaya
Critique de Arval (Papeete, Inscrite le 8 mars 2008, 56 ans) - 18 juin 2008
Merci pour ces moments de joie pure, Monsieur Savitzkaya.
Magnifique
Critique de Maria-rosa (Liège, Inscrite le 18 mai 2004, 69 ans) - 16 février 2005
Merveilleux
Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 16 février 2005
Marin est un petit bout tout frais tout nouveau, un petit d'homme qui découvre le monde et c'est son regard, sa vision, que nous offre Savitzkaya. Ce livre, c'est un petit bijou, une oeuvre d'art finement ciselée dont chaque pierre est un cadeau. De courts chapitres, des petites histoires, des aventures de tous les jours pour nous faire voir le monde par la lorgnette d'un enfant qui grandit. C'est tendre, simple, touchant, empli d'une telle poésie qu'il m'a fallu à plusieurs reprises fermer l'ouvrage et les yeux, respirer, me plnger dans la scène qui envahissait mon esprit... Oui, c'est un condensé de beauté et de douceur, une écriture qui bouleverse tout sur son passage. Subtilité et lucidité d'un enfant qui place objets et êtres à sa hauteur, qui expérimente et explore, qui s'interroge beaucoup et surtout, qui rêve et qui construit. Qui construit la vie. A petit pas. Magnifique, à lire absolument.
"Il transporte le sable de la rivière sur le plancher de la chambre et les coussins de la chambre au bord de la rivière. Il mélange les lieux et se les concilie. Et vit deux fois. Dans un même gobelet, il dépose des châtaignes, de l'eau de mer, de l'herbe et sa propre buée. Il mélange les éléments et se les concilie. Et vit éternellement."
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