La Convocation
de Herta Müller

critiqué par Septularisen, le 6 octobre 2010
( - - ans)


La note:  étoiles
PRIX NOBEL DE LITTERATURE... FORCEMENT!
Au début du livre la narratrice de ce livre prend le tramway pour traverser la ville, comme presque tous les matins elle est convoquée par le commissaire Albu dans les bureaux de la police pour y subir un interrogatoire…

Son seul crime, avoir glissé dans les poches de quelques pantalons qu’elle fabriquait à l’usine, et destinés à l’exportation en Italie, des mots d’amour afin d’essayer d’attirer à elle un Italien, pour ensuite le marier et pouvoir ainsi quitter la Roumanie…

Un rêve bien sûr, une utopie, une folie, dans un système totalitaire, qui a entrainé son licenciement, et depuis lors sa mise sous surveillance par la police politique…

Dans le tramway, elle pense à son amie Lilli, à son deuxième mari Paul, devenu pratiquement alcoolique à force de subir des brimades et des vexations à cause d’elle, à son père trop tôt disparu, à son grand-père, à son ex beau père dont l’obsession était de coucher avec elle, à son ex mari qui un jour a failli la tuer, à ses collègues de travail qui ont tout fait pour l’accabler en témoignant contre elle… et toujours elle revient à la vie de tous les jours dans ce tram qui l’amène vers son malheur…

Il faut avant tout dire que l’écriture de ce livre est très particulière, vraiment originale, des phrases courtes, sans ponctuation, qui ne sont pas sans rappeler le nouveau roman et un autre prix Nobel, Français celui-là: Claude SIMON.
Le récit est plein d’images poétiques d’une très grande beauté, les descriptions de la nature, notamment la nature dans la ville sont absolument époustouflantes.
L’écriture elle, est très difficile, le texte est ardu, épais, on s’y englue très vite, et il faut faire un effort chaque fois que l’on lit, chaque fois que l’on ouvre ce livre. Il doit se «mériter» et on ne peut le lire vite, je me suis d’ailleurs moi-même surpris plusieurs fois à retourner en arrière et à relire un paragraphe que pourtant je venais juste de lire!

La construction du livre est elle aussi très particulière, on est sans cesse transporté, ballotté d’une histoire à l’autre, du moment présent au passé, qui nous raconte la vie de la narratrice. Il faut donc faire un effort pour suivre, sous peine de très vite perdre le fil de l’histoire…
En effet, si le voyage en tramway et la description de ses passagers et du conducteur, est le «fil rouge» de l’histoire (on ne cesse d’y revenir tout au long du récit), la véritable raison d’exister de ce livre est la description de la terrible vie quotidienne en Roumanie pendant la dictature communiste de Ceausescu.
On y retrouve les grands «classiques» d’une dictature : la police politique, les surveillances, les délations, les petites combines pour survivre, le travail au noir, la solitude et la peur, toujours la peur, omniprésente, qui vous conduit lentement à une forme de résignation, de folie douce…
Mais aussi la vie de tous les jours, avec ses petites choses, ses rites, ses habitudes, ses espoirs, ses joies, ses peines, ses drames… et l’alcool toujours présent, coulant à flots à en mourir, car seule forme de révolte autorisée, ou plutôt moyen supplémentaire de soumettre les masses…
Une société de l’ennui, d’ennui devrais-je dire, où de toute façon quoi que l’on fasse, revient à ne rien faire puisque de toute façon on ne peut rien faire…

Enfin, un mot sur les personnages de ce livre, tous très biens décrits et à la psychologie très réussie, citons notamment Lilli, l’amie d’origine allemande de la narratrice, son père ou encore Paul son deuxième mari. Il y a de l’humour noir très grinçant dans leur description. Ils nous sont présentés avec certaine distance, mais cela nous les rend plus humains, avec leurs faiblesses, complètement broyés, laminés par le système totalitaire au milieu duquel ils essayent de vivre, de survivre…

Je pense qu’on peut beaucoup aimer ou alors totalement détester ce livre… Inutile de dire de quel côté je me situe, et comment j’ai été complètement emporté, littéralement retourné par ce récit!..
Un roman d'une grande sobriété, qui décrit un univers sordide et oppressant 8 étoiles

Ce roman de Herta Müller, qui a obtenu prix Nobel de littérature en 2009, décrit la vie d’une femme ordinaire qui, travaillant dans une usine de confection de vêtements pour l’exportation en Europe occidentale, se retrouve sous la pression de la Securitate parce qu’elle a glissé dans les poches de pantalons de luxe destinés à l’Italie des messages informant les acheteurs qu’elle était une jeune et jolie femme désireuse d’épouser un Italien… Les messages ayant été interceptés, et faute d’appui au sein de son usine, elle est convoquée régulièrement dans les bureaux de la Securitate pour des entretiens et des interrogatoires qui visent à l’effrayer et à la faire craquer psychologiquement.

Le roman est construit sous la forme d’un monologue intérieur. Pendant un trajet en bus de son domicile vers l’immeuble de la Securitate, la narratrice se remémore les personnes et les évènements marquants de sa vie. Le récit alterne entre souvenirs (présentés dans l’ordre chronologique) et descriptions des passagers du bus. Contrairement à la critique principale, j'ai trouvé que l’écriture se caractérisait par sa grande simplicité, dénuée de toute emphase stylistique. Néanmoins, même si les phrases sont courtes, elles sont porteuses d’images fortes, voire d’une certaine poésie. Les dialogues sont enchâssés dans le texte et présentés comme des éléments de narration, sans guillemet ni tiret.

Herta Müller, sans aucun lyrisme et avec un style très sobre, s’attache à tout ce qui constitue la trame d’une vie ordinaire, sans jamais invoquer la défense de valeurs ou disserter sur les idéologies politiques. Ceausescu n’est jamais mentionné. Le roman n’est pas une dénonciation argumentée : il cherche simplement à faire ressentir un sentiment de dégoût et de profonde amertume… Quelques dialogues ressuscitent néanmoins le contexte historique de la Roumanie communiste, notamment lorsque la narratrice et son compagnon évoquent leurs familles respectives et le drame des expropriations et des déportations d’anciens propriétaires terriens. La narratrice est à la fois la petite-fille d’un paysan aisé qui fut spolié de ses terres et la belle-fille d’un expropriateur. Le père de son mari, ancien charretier, avait rallié le parti communiste et avait soif de revanche sociale ; chargé des expropriations, il montra un zèle excessif qui suscita la haine des paysans et la méfiance des cadres du parti quand il commença à s’attaquer aux paysans pauvres. Discrédité, il se trancha la main pour se faire passer pour une victime de la guerre et se réfugier sous un faux nom dans une ferme horticole…

Tous les personnages semblent englués dans un quotidien sordide et mesquin, à la violence sourde, dont ils ne savent pas comment s’échapper. Chacun porte un masque qui dissimule ses aspirations refoulées et crée un climat de duplicité ; tous se surveillent et s’interrogent sur ses voisins et sur ses proches. Les sorties au restaurant, les balades dans la nature, l’alcool et le sexe sont des dérivatifs commodes à l’ennui (l’adultère est omniprésent) mais beaucoup rêvent d’évasion hors de Roumanie (principalement vers l’Italie ou le Canada), sans pourtant véritablement se projeter vers un ailleurs ou dans une vie future. Le départ n’est motivé que par l’envie de partir.

La narratrice vit avec Paul, un ouvrier métallurgiste qu’elle a rencontré sur un marché aux puces où elle tentait, après séparation avec son mari, de revendre son alliance… Paul, qui bricole et revend des antennes pour capter des radios étrangères (de Tchécoslovaquie et de Hongrie), est venu à son aide pour l’aider à négocier l’alliance à sa juste valeur. Paul est accroc à la vodka et à sa moto (une Jawa tchèque), qui leur offre un peu de liberté. Tous deux sont victimes d’harcèlement au travail (Paul se fait voler régulièrement ses habits) et se savent surveillés. Le concierge de leur immeuble leur a d’ailleurs avoué qu’il consignait dans un carnet toutes leurs entrées et sorties. Paul et la narratrice épient également leur voisinage et cherchent à deviner qui les espionne.

Dans cet univers de paranoïa et de menace oppressante, la mort est omniprésente. La narratrice songe à ses amis d’enfance (notamment un jeune garçon malade, avec qui elle jouait) et à ses parents disparus (notamment son père, qui trompait sa mère avec une jeune fille dont la narratrice souhaitait incestueusement prendre la place, et sa grand-mère, morte dans un camp de déportation après avoir été expropriée). Lilli, la meilleure amie de la narratrice et sa seule confidente, dont le charme exerçait un pouvoir de fascination sur les hommes, a été abattue à la frontière par un jeune soldat, alors qu’elle tentait de fuir avec un officier à la retraite (l’homme qui devait les récupérer en voiture les a dénoncés). Depuis qu’elle est convoquée par la Securitate, la narratrice, qui s’efforce de trouver en elle les ressources mentales suffisantes pour résister, se sait être également menacée. Par exemple, elle découvre un soir qu’un doigt humain, tranché et soigneusement emballé, a été glissé dans son sac à main pendant l’entretien avec l’officier en charge de son dossier.

La psychologie des personnages est très bien décrite mais il me semble qu'Herta Muller ne manifeste aucune compassion envers ses personnages, qu'ils soient victimes ou bourreaux. Elle décrit un univers absurde et médiocre, où tous s'engluent et se débattent comme des mouches prises au piège... La fin ouverte du roman est un appel à ne pas sombrer dans la folie...

Eric Eliès - - 50 ans - 12 octobre 2015