Point oméga
de Don DeLillo

critiqué par Nothingman, le 15 octobre 2010
(Marche-en- Famenne - 44 ans)


La note:  étoiles
" Chaque moment perdu est la vie "
Très étrange nouveau roman que celui de Don DeLillo, l’un des meilleurs écrivains actuels sur l’Amérique d’aujourd’hui. Le titre Point Omega, résulte d’une réflexion de Pierre Teilhard de Chardin. Il nous livre ici une courte histoire, très prenante. Tout débute et se conclut au MomA de New-York, où un féru d’art anonyme se perd dans la contemplation de Psycho, œuvre d'art contemporain signée Douglas Gordon. Il s’agit de Psychose, le vieux film d'Hitchcock projeté tellement au ralenti qu'il faut 24 heures pour le visionner en entier. Et cet anonyme revient chaque jour au musée pour contempler cette œuvre. Et de s’interroger sur les nouvelles temporalités que propose cette œuvre inclassable
Entre les deux, nous partons pour le désert californien. Là se déroule également une rencontre improbable entre un vieil universitaire, proche du gouvernement Bush, Richard Elster, et Finley, un jeune vidéaste qui souhaite tourner un film documentaire sur lui. Elster, soixante-treize ans, avait notamment participé aux réflexions initiales sur le pourquoi d’une guerre en Irak. Là sous une véranda, les deux hommes vont échanger des propos sur tout sur rien, sur la vie qui s’étire lentement dans ce désert. Le vieil homme va expliquer le pourquoi de son retrait de la vie des hommes, pour vivre dans ce désert reculé.
Alors que les deux hommes discutent dans la maison, en plein désert, surgit Jessie, la mystérieuse fille d'Elster.
Étrange roman donc avec deux histoires qui n’ont potentiellement rien à voir, à moins de faire fonctionner son imagination. Ce roman est un prétexte pour s’interroger sur le temps, le vrai personnage de ce roman est donc le temps. Le temps qu’un artiste peut étirer à l’infini et qui permet d’entrevoir le moindre petit détail, le moindre sens caché, à condition de s’y perdre bien entendu. Le temps différent d’un endroit à un autre. Le temps new-yorkais, dans lequel les hommes, petites fourmis sont constamment pressés, ou ce temps qui s’écoulent lentement, tranquille dans le désert californien. Le temps propre à la méditation. Et la vie, où se situe-t-elle ? Sans doute dans un entre-deux entre ces deux conceptions.
En une centaine de page, Don DeLillo arrive à s’interroger et à nous interroger sur ce qui fait l’essence de la vie. Il faut cependant accepter de rentrer dans ce livre, dans ces réflexions touffues, dans ces digressions continuelles. Tout cela est très cérébral. Trop… A vous de juger !
Du sens de la vie et de la création au cinéma 9 étoiles

Ce roman au double propos est aussi riche que complexe, bien qu'il soit court. Cela le rend touffu, voire abscons par moment, mais il demeure brillant sur chacun des deux thèmes traités. Son objectif est donc d'inciter à réfléchir, par autant de pistes lancées, par les interrogations qu'il pose, plus que par des réponses apportées, qui n'existent pas en tant que telles. Ce roman court s'avère donc être une vaste problématique sur la meilleure façon de créer un film et de prendre du recul sur le sens de la vie.
Ce petit livre doit donc être médité, pour être pleinement apprécié, puis accompagné d'une réflexion personnelle, pour devenir pleinement bénéfique. Je pense qu'il m'apparaîtra plus éclairant, à la relecture. Il est donc vivement à recommander.

Veneziano - Paris - 46 ans - 21 juillet 2014


La littérature qui guérit 9 étoiles

A propos d'un article publié dans une revue érudite par un universitaire, Delillo fait dire à son personnage : « Je ne trouvais pour ma part dans ces pages qu'un défi implicite à deviner de quoi le texte retournait ». Une réflexion humoristique, mais qui s'applique en fait parfaitement au roman de Delillo : j'ai eu beau le lire trois fois, je me suis constamment demandé de quoi Delillo me parlait.

L'intrigue du roman est très mince : un universitaire retraité, qui a participé à la guerre en Irak comme conseiller des stratèges (il était engagé pour "conceptualiser" la guerre), se retire dans le désert avec un jeune cinéaste qui désire faire un film sur lui. La fille de l'universitaire viendra les rejoindre. Et en parallèle, Delillo introduit un individu solitaire, qui, en pur personnage "delillien", regarde la projection d'une oeuvre d'art particulière : la projection en ralenti d'un film de Hitchcock.

Delillo parle du temps, comme le dit Nothingman, même si ce thème m'a laissé indifférent. Delillo parle de la vie, de la conscience qui réfléchit sur elle-même, de l'évolution de la conscience. Il parle aussi de la communication, plutôt du brouillage dans la communication. Ainsi, quand le jeune personnage fait remarquer au scientifique que le contenu de son article érudit n'a rien à voir ni avec l'incipit ni avec la conclusion qu'il en tire, celui-ci répond : "c'est fait exprès !".

Un aspect qui m'a vraiment touché dans ce roman, c'est le sentiment de déconnexion qui se dégage des personnages (comme dans la plupart des romans de l'auteur). Il y a un passage formidable, dans lequel le jeune cinéaste, en plein milieu du désert, évoque son appartement en ville et repense à une vieille dame Lettone qui descendait l'escalier en marche arrière, sans qu'il n'ait jamais su pourquoi. Un passage qui peut paraître incongru, pourtant j'ai été touché, comme si je touchais la partie de solitude qui est inhérente à l'espèce humaine. C'est la même impression que j'ai lorsque, dans l'église que je fréquente, je vois une vieille dame parler en espagnol à une statue.

Alain de Botton exprime l'idée dans un de ses livres que parfois un écrivain serait pour le lecteur comme un ami qui, cordialement, exprimerait pour lui des choses qu'il ressent sans pouvoir les exprimer. Cela est très vrai, et s'applique totalement à de Botton lui-même (et c'est pour ça que j'aime tant lire ses livres). Mais chez Don Delillo, c'est encore mieux : il exprime, de manière totalement obscure il est vrai, des choses qui nous sont essentielles mais qui restent pour nous du domaine de l'inexprimable. Dans ce sens, je trouve que Delillo est un auteur qui nous guérit de notre mal de vivre. Il nous aide à vivre notre vie d'humain qui réfléchissons sur nous-mêmes.

Quelques citations :

« La vraie vie n'est pas réductible à des mots prononcés ou écrits, par personne, jamais. La vraie vie a lieu quand nous sommes seuls, à penser, à ressentir, perdu dans les souvenirs, rêveusement conscient de nous-même, des moments infinitésimaux. »

« Je parlai à Ester d'un article qu'il avait écrit quelques années plus tôt, intitulé "Redditions" et publié dans une revue érudite, où il n'avait pas tardé à susciter les critiques de la gauche. Si telle avait été son intention, je ne trouvais pour ma part dans ces pages qu'un défi implicite à deviner de quoi le texte retournait. »

« Le film lui conférait le sentiment d'être quelqu'un qui regarde un film. »

« Je voulais voir s'évaporer l'idée d'un retour vers là-bas, vers les responsabilités, les vieilles misères, la souffrance de commencer quelque chose qui ne mènerait nulle part. Combien de commencements avant de voir les mensonges dans son propre enthousiasme ? »

« Les villes ont été bâties pour mesurer le temps, pour soustraire le temps à la nature. Il se fait un interminable compte à retours, dit-il. Quand on déblaie toutes les surfaces, quand on regarde bien, ce qui reste, c'est la terreur. C'est la chose que la littérature était censée guérir. Le poème épique, l'histoire qu'on lit avant de dormir ? »

Saule - Bruxelles - 59 ans - 2 novembre 2010


Le rien est un art 1 étoiles

Franchement, c'est le plus mauvais roman de Delillo que j'ai lu. Et ça me coûte de le dire tant cet écrivain a écrit des choses qui m'ont ébranlées.

Primo, ça ressemble à Mao II dans la forme : des gens reclus qui ont l'air de fuir le monde jusqu'à vouloir disparaître dans ses zones de no-man's-land.

Deuxio, c'est plat. Généralement, il y a chez Delillo quelque chose qui résonne sans chercher à raisonner. Comme si ses récits de vies décousues, ratées, écrasées par la menace diffuse ou la seule omniprésence de l'Occident (qu'on peut aussi considérer comme une menace diffuse) s'imprimait dans l'imaginaire du lecteur comme un trauma invisible qui suppure lentement jusqu'à gangréner la réalité. Ici, j'ai cherché en vain. Comme si l'obsession de Delillo d'évoquer la perte de sens par l'évocation du rien s'était définitivement perdue dans le rien.

Non, définitivement, écrire un roman sous l'influence d'une installation du MoMA n'était pas une bonne idée !

B1p - - 51 ans - 18 octobre 2010